Au cours de cette étude, nous nous sommes efforcés de traiter de la question de la langue française avec rigueur et objectivité. La conclusion qu'il nous est permis de faire sur l'état actuel du droit de la langue française ne peut être que nuancée.
Enseignée et parlée par tous les français, la langue française, par une longue tradition historique et coutumière s'impose comme la langue de la France et depuis la révision constitutionnelle de 1992 comme la langue de la République. Cependant, en même temps qu'elle devenait l'instrument privilégié sinon exclusif de communication des français entre eux, la langue française perdait peu à peu la suprématie qui fut longtemps la sienne dans les échanges internationaux. Jadis conquérante, la langue française fait aujourd'hui figure d'assiégée.
D'où l'intervention de l'Etat dans le domaine linguistique pour défendre la langue française par l'institution d'un statut juridique qui lui est propre. La langue française se présente donc sans conteste comme la langue judiciaire et ce principe trouve à s'appliquer avec une assez grande fermeté en cas d'inobservation. Elle peut également, bien que n'intéressant pas la totalité des rapports juridiques, être qualifiée de langue juridique, dans la mesure où se trouvent soumis à l'emploi de la langue française l'ensemble des actes publics, juridictionnels ou non, les multiples actes soumis à l'enregistrement et la grande majorité des contrats. D'autre part, l'Etat a engagé une politique de création terminologique visant à stopper le processus de dégradation de l'intégrité de la langue française qui trouve son origine dans la pénétration abusive de la langue française par des termes anglo-saxons.
L'Etat français a donc pris conscience depuis une trentaine d'années de la nécessité de défendre la langue française, prise de conscience dont on peut que se féliciter. Cependant, il n'apporte qu'une réponse dérisoire à un problème dont les causes sont d'abord politique, économique, et culturelle. En effet, le droit de la langue française pèche par son caractère exclusivement défensif et par un recours trop systématique à la contrainte. " Ce ne sont pas les peines d'amende qui peuvent modifier l'évolution d'une langue ".[211]
La faiblesse et l'inefficacité de cette loi relative à l'emploi de la langue française mettent bien en relief toute la difficulté qui existe à vouloir régir et imposer la langue par des normes, assorties ou non de sanctions. La langue est donc un objet difficilement appropriable juridiquement et s'agissant avant tout d'un problème de société, le droit ne peut offrir qu'une relative assistance au destin linguistique. Certes, la loi peut servir de guide, donner l'impulsion, éveiller les consciences par son impact psychologique. Encore faut-il que cette impulsion soit accompagnée d'une véritable sensibilisation populaire. Si l'on veut qu'un tel dispositif ait des chances d'être appliqué, il faut savoir susciter la confiance et l'adhésion du plus grand nombre à la politique de défense de la langue française. Or, l'Etat a négligé, notamment au moment de l'adoption de la loi de 1994 d'expliquer les enjeux de la défense de la langue française.
Le droit de la langue française réclame non seulement un effort de communication, de promotion de la part de l'Etat mais également un effort d 'imagination pour trouver notamment des sanctions plus adaptées que les sanctions pénales traditionnellement prévues par le droit de la langue française. Ainsi, on peut émettre des doutes sur l'adéquation des sanctions pénales à l'égard des dispositions régissant la langue française. Le juge répressif peut difficilement devenir le censeur de bons usages et suppléer l'absence d'intérêt des citoyens pour défendre leur propre langue. Le droit de la langue française réclame donc un effort d'imagination. La matière de la langue nationale mérite bien, de la part des pouvoirs publics et des juristes, la recherche d'une meilleure adaptation des règles favorisant son emploi. Plus encore, il est indispensable que ces efforts soient accompagnés d'une volonté puissante de la part des individus d'appliquer les dispositions prévues. La réussite du droit de la langue française dépend de la volonté des individus, de leur vigilance et de leur implication dans le dossier linguistique.
Avant de conclure cette étude, je tiens à faire une suggestion au gouvernement. Il est nécessaire que le Ministre de la Culture se penche de nouveau sur la question de la langue française notamment pour modifier la loi du 4/08/1994 en tenant compte de la censure de la loi de 1994 par le conseil constitutionnel relativement à la création terminologique.[212]
Enfin, je conclurait mon étude par une citation de R.Barthes qui explique parfaitement bien la situation de crise dans laquelle se trouve la langue française.
" Ce dont nous souffrons, c'est moins d'une crise de la langue que d'une crise de l'amour de la langue française ".
Aussi, alors qu'à notre porte, de l'autre côté de la Méditerranée, chaque jour, des intellectuels, des artistes sont assassinés parce qu'ils ont choisi de revendiquer l'usage de la langue française, nous devons être heureux d'appartenir à une nation qui met son honneur à légiférer sur sa langue, sur ses mots, par lesquels s'expriment tant sa pensée que son histoire, son avenir, ses passions, ses rêves et ses espérances.
[211] V.Delaporte, Supra ndeg.154.
[212] SUPRA ndeg.178.
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