Conseil D'État N°181611

"Ordre des Avocats à la Cour de Paris"

17 décembre 1997


Conclusions de M. Combrexelle
Commissaire du Gouvernement

Synthèse rapide par Jérôme Rabenou


[Depuis la réalisation de cette page de synthèse rapide, Monsieur Combrexelle, Commissaire du Gouvernement a bien voulu me permettre de reproduire et de diffuser le texte complet de ses conclusions]

I - La collectivité publique est la source d'informations dont la société civile doit être informée. La norme juridique a une place particulière: "Nul n'est censé ignorer la loi" implique que l'État prenne des mesures pour assurer sa diffusion et sa compréhension.

Le mode traditionnel de diffusion (papier) est imparfait (sélection des données, lenteur, diffusion faible). Les nouvelles technologies apportent de nombreux avantages. Faut-il adapter le service public ? Une solution serait une large et gratuite diffusion des données publiques sur Internet.

"Mais une information n'est pas une donnée". Elle doit être saisie, codée, balisée et organisée. Ces opérations ont un coût, les données recueillies ont une valeur marchande. Qui doit supporter le coût ? L'État (donc le contribuable) ou l'usager ?

Pas de réponse simple. Choix politique, en fait. En France, les deux sont possibles (cf. CE Ass. DMP (sur données INSEE). A l'étranger, tendance à la gratuité (USA notamment). En Europe, pression pour un service public des données essentielles (déclaration de Sarrebruck).

La France a été pionnière en la matière, grâce au Minitel et l'organisation de la diffusion des données juridiques publiques. Rappel historique: CEDIJ (1980), CNIJ (1984-1993), ORT (1992). Juris-Data.

 

II - Le décret du 31 mai 1996 reprend le principe d'un SPIC destinataire de données publiques (incluant désormais les décisions judiciaires). Les données doivent être rassemblées, mises en forme, pour être diffusées par voie électronique. Le décret oblige désormais le concessionnaire à céder les données à des tiers rediffuseurs, par licence. Disposition critiquée ("monopole étatique de données publiques").

Reconnaissance de l'intérêt à agir de l'Ordre des Avocats, rappel jurisprudentiel (S. 11/02/66, Ass. 21/10/94).

 

III - Examen des moyens invoqués: distinguer le recueil et la diffusion des données.

1) Constitution et recueil des bases de données:

Modalité interne d'organisation, neutre pour l'utilisateur.
Pour les administrations et autorités concernées: elles doivent transmettre les données, mais le décret ne les empêche pas de mettre à disposition (par exemple sur un Web) les données brutes non constitutives d'une base de données. (Différence subtile: la base de données suppose un moteur de recherche. La donnée brute est une succession de textes).

2) Diffusion des bases de données

Le monopole du concessionnaire n'est pas absolu (cf. article 9). Le régime mis en place n'interdit pas la constitution et l'exploitation par des éditeurs privés.

 

IV - Rappel des moyens invoqués, annonce du plan:

- Incompétence de l'autorité réglementaire pour créer un service public
- Violation du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, du droit à l'information et des dispositions sur le droit d'auteur
- Violation des règles communautaires et nationales sur la concurrence
- Méconnaissance de la loi organique relative aux lois de finances
- Violation de la loi "'Sapin" du 29 janvier 1993

 

1) Incompétence de l'autorité réglementaire pour créer un service public

"Ce moyen pourait être rejeté de manière expédiente comme manquant en fait". Le décret litigieux ne crée pas un service public mais modifie les attributions et le fonctionnement d'un service public créé par le décret du 24 octobre 1984.

2) Violation du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, du droit à l'information et des dispositions sur le droit d'auteur.

Sur l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie: le demandeur prétend que sauf autorisation législative, une activité de nature commerciale ne peut être érigée en service public... mais l'État, principal producteur, peut instituer un service public visant à recueillir et à diffuser les bases qu'il constitue.

Sur l'atteinte au droit à l'information: le décret ne restreint pas ce droit, mais se borne à organiser la diffusion par l'État.

Sur la violation des dispositions sur le droit d'auteur: le décret ne les affecte pas.

3) Violation des règles communautaires et nationales sur la concurrence

Rappel de règles et jurisprudences notamment communautaires: Article 90 paragraphe 2 du Traité CE, Arrêt du 23 octobre 1997 (Commission / France).

Raisonnement suivi:

1) Le service public est-il une entreprise ?

OUI

2) Sur quel marché pertinent intervient-il ?

Le marché est rès fractionné, il répond à des besoins très différents;
Les produits ne sont pas substituables.

3) Y a-t-il un abus de position dominante ?

Position souvent privilégiée du concessionnaire, abus possible dans 3 dimensions:

- conditions d'accès aux données: décalage de mise à disposition
- contenu des données diffusées: différentiel de valeur ajoutée
- conditions de tarifs

4) La spécificité de certaines obligations du SP justifie-t-elle une dérogation au droit de la concurrence?

- exhaustivité de l'information,
- qualité de l'information,
- diffusion la plus large possible,
- respect de l'activité privée.

Le décret concilie ces différentes priorités.

5) Précédents - comportement de l'entreprise - abus de position dominante automatique ?

Le décret ne place pas le concessionnaire dans une position nécessairement et automatiquement abusive. C'est l'étude de l'acte de concession, des licences et du comportement du concessionnaire qui permettrait de l'établir.

 

4) Méconnaissance de la loi organique relative aux lois de finances

Le demandeur rappelle la jurisprudence sur les données Insee. Ici, situation différente, puisque ce ne sont pas les ressources de l'Etat qui sont mises en cause mais la rémunération du concessionnaire d'un SPIC, constitutive d'un prix et non d'une redevance pour services rendus. Donc moyen inopérant.

5) Violation de la loi "Sapin" du 29 janvier 1993 (délégation de service public)

Le décret ne fait que prévoir la possibilité de conclure de telles conventions de délégation. Seules leurs conclusions effectives permettraient d'évoquer la loi Sapin. Donc moyen rejetable.

 

"Par l'ensemble de ces motifs, nous concluons au rejet de la requête"

 

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