Circulaire du 11 février 1985


Journal Officiel de la République Française du 7 mars 1985 page 2823

Circulaire du 11 février 1985
relative au service public des banques de données juridiques

 

Le Premier ministre à Mesdames et Messieurs les ministres et secrétaires d'Etat,

Le Gouvernement a déjà, à plusieurs reprises, souligné l'importance qu'il attachait aux banques de données en tant que facteur de mutations économiques, techniques et culturelles. Les banques de données juridiques intéressent encore plus naturellement et plus directement que toutes autres l'Etat. En effet, celui-ci est engagé à la fois dans la collecte des informations. Leur utilisation par ses agents, et par leur communication tant aux citoyens qu'aux institutions qui ont pour mission d'élaborer la législation, de la faire respecter et de dire le droit. Il est tenu ainsi à garantir le respect de certains principes de service public tels que la neutralité des sélections ou l'égalité d'accès à l'information administrative, ce qui peut l'amener à étendre des enregistrements à des secteurs autres que ceux paraissant le plus rapidement rentables. Il doit, en outre, veiller à ce que soient assurées en ce domaine l'indépendance nationale ainsi que la sauvegarde du système juridique français et de son influence. Enfin, par ses diverses interventions, l'Etat a nécessairement une responsabilité à assumer dans l'organisation des banques de données, leurs spécialités, leurs complémentarités.

Mais, pour être efficaces et porteuses de légitimes ambitions, la politique des pouvoirs publics et les interventions administratives doivent être cohérentes et réfléchies, ce qui n'a pas toujours été le cas jusqu'ici, mais devra désormais être assuré simplement et rigoureusement dans le souci de valoriser ce qui a déjà été réalisé.

Une nouvelle phase de développement et d'application effective des systèmes automatisés de documentation juridique s'engage donc. A cette fin doivent être surmontées la réserve de beaucoup d'utilisateurs potentiels et les difficultés diverses, notamment financières, que connaissent actuellement plusieurs banques de données juridiques. Pour qu'il en soit ainsi, des coopérations entre elles, des simplifications techniques, des recherches d'économie sont opportunes. Des regroupements doivent aussi être envisagés. En tout cas, l'évolution des banques de données juridiques doit s'insérer dans un projet global et, en toute hypothèse, tenir compte des travaux concernant la politique générale d'utilisation de la filière électronique.

La réorganisation du système informatique d'accès au droit qu'inaugure le décret No 84-940 du 24 octobre 1984 vise à améliorer, par une meilleure coordination des initiatives publiques et privées, le service rendu aux usagers par les banques de données juridiques.

Les objectifs poursuivis sont les suivants:

- permettre aux usagers (professions judiciaires, entreprises, collectivités territoriales, administrations, particuliers, etc.) d'accéder aisément par des moyens informatiques à toutes les données du droit français qui leur sont nécessaires; cela selon la méthode du texte intégral enrichi, pour les domaines réservés au Centre national d'informatique juridique (CNIJ) (créé par le décret du 24 octobre 1984), des méthodes différentes pouvant être retenues dans les autres cas, et l'ensemble étant interrogeable par les moyens unifiés suivants: un seul serveur dès que possible, une société de distribution pour toutes les bases quel qu'en soit le producteur;

- promouvoir une réelle complémentarité, plutôt qu'une concurrence coûteuse, entre les secteurs public et privé, en favorisant les rapprochements au sein de la commission de coordination de l'informatique juridique (créée par le décret du 24 octobre 1984), et notamment, entre ministères, producteurs, serveur et diffuseur;

- assurer la compétitivité internationale des banques de données françaises et favoriser ainsi la diffusion de notre culture juridique.

La modernisation entreprise s'articulera autour des axes suivants:

 

I. - La production sera répartie entre le secteur public et le secteur privé:

A. - LE SECTEUR PUBLIC

Il relève du C.N.I.J., service public à caractère industriel et commercial, rattaché au Premier ministre: la direction du C.N.I.J. est assurée par le directeur des Journaux officiels. Le domaine juridique réservé au C.N.I.J. est décrit à l'article 1er du décret: il s'agit d'un "dépôt légal" de la documentation juridique automatique concernant les émetteurs publics de textes d'intérêt national ou d'arrêts de cours Suprêmes et les producteurs publics de banques de données travaillant sur des fonds d'origine publique.

Il concerne toutes les banques de données existantes façonnées dans ces conditions, qu'elles soient commercialisées ou non, qu'elles servent à des usages internes ou externes.

Dans l'avenir, tout nouveau projet devra être élaboré et mis au point avec le C.N.I.J., qui a obligation d'harmoniser les bases et de présenter des solutions à la commission de coordination. Un ministère ayant produit lui-même, ou fait établir à l'extérieur, des banques de données (ou pris des dispositions pour y parvenir), doit donc déclarer l'ampleur et la nature du parc existant, que les administrations, juridictions et autres organismes relevant de l'Etat sont tenus de faire figurer à l'inventaire national.

Il importe de signaler que le C.N.I.J. tire profit dès sa création du passage de l'impression traditionnelle des Journaux officiels, puis des bulletins officiels, à la photocomposition programmée, laquelle crée des supports magnétiques qui sont autant de matrices pour la génération de banques de données, après traitement par la méthode du texte intégral enrichi. Il n'y aura donc pas double saisie des documents, contrairement à ce qu'on ne peut éviter pour les textes anciens. La prise en charge des flux de textes neufs en est d'autant allégée.

Néanmoins, le stockage des données correspondant à ces flux est lacunaire, les banques de données juridiques existantes n'étant pas exhaustives, même si on les juxtapose. C'est pourquoi le CNIJ n'a pas vocation à tout faire lui-même. Appliquant avec pragmatisme le principe dit de subsidiarité, le CNIJ devra s'entendre avec les autres producteurs publics et privés pour répartir le travail et spécialiser les efforts conjugués de tous. Pour résoudre tous les problèmes soulevés par cette tâche, le CNIJ peut faire toutes propositions à la commission de coordination. Il est prévu à l'article 1er du décret que le CNIJ peut passer des conventions d'association avec tout partenaire public ou privé.

Par ailleurs, le comité scientifique et technique du CNIJ (art. 5 et 6 du décret), chambre de réflexion, promoteur de l'évolution des techniques, garant de la satisfaction des besoins des utilisateurs, ouvert aux dimensions de la recherche et de la coopération internationale, veillera à la cohérence de l'ingénierie documentaire, au rayonnement des méthodes et des programmes, à la formation des autres producteurs.

B. - LE SECTEUR PRIVE

a) S'il désire s'associer au nouvel ensemble, le secteur privé sera encouragé à coordonner ses productions; ainsi il pourra assurer de façon systématique le traitement de la jurisprudence des cours et tribunaux, s'ils en sont d'accord - le taux de sélection variant selon les matières et les degrés de juridiction.

Le principe d'organisation à retenir est d'exclure les chevauchements entre les contenus de chaque banque, quel qu'en soit le producteur, public ou privé, sauf nécessité de garantir aux utilisateurs une continuité d'interrogation entre la jurisprudence des cours Suprêmes et celle des juridictions subordonnées.

De même, évitant les doubles emplois avec les bases "textes" et les bases "jurisprudence", les producteurs d'encyclopédies électroniques diffuseront diverses bases thématiques, dans lesquelles l'unité documentaire est la question de droit et non le document-source (loi, décret, arrêté, circulaire, arrêt). Elles fourniront l'état du droit positif, parfaitement tenu à jour. L'idéal est de présenter les solutions jurisprudentielles dominantes, commentées, immédiatement accessibles et utilisables.

Une collaboration pourra, dans tous les cas, s'instaurer avec le CNIJ; elle sera aisée dès lors que seront évitées les redondances et qu'il s'agira de combler rationnellement les lacunes.

b) Il est, bien entendu, loisible aux banques de données privées existantes, couvrant ou non les domaines cités à l'article 1er du décret et ne désirant ni financement d'origine publique ni diffusion via la société de distribution commerciale prévue à l'article 3, de poursuivre leur activité.

Mais elles auraient tout autant la possibilité de se rapprocher du CNIJ et de ses associés, afin d'être servies au "guichet unique" favorisant l'interrogation omni-bases, dès lors qu'elles accepteraient de ne pas entrer en concurrence, par leur contenu, avec le service public existant. En particulier, pour la partie du droit défini à l'article 1er dans laquelle elles désireraient situer leur intervention, elles passeront convention avec le CNIJ pour arrêter les modalités techniques de leur participation et déposer au CNIJ les documents et copies des bases et banques de données s'y rapportant en application de l'article 1er.

II. - Le titre II du décret institue une commission de coordination de l'informatique juridique placée sous l'autorité du comité interministériel pour l'informatique et la bureautique dans l'administration.

Ses tâches (article 10) ne sont pas limitativement énumérées, car elle a la responsabilité de mener à bonne fin les divers objectifs de l'entreprise.

Lieu de rencontre des préoccupations et des intérêts de tous les participants concernés sans aucune exclusive, la commission doit être un outil de cohérence et s'efforcer de dégager des pôles de convergence.

Ses missions (art. 10) l'amèneront notamment à:

1) Susciter un partenariat complet regroupant les initiatives publiques et privées, le CNIJ en étant le pivot;

2) Rapprocher les concepteurs-émetteurs de textes (ou d'arrêts de cour Suprême) des producteurs de banques de données "professionnelles": désormais il importe que, en liaison étroite avec le C.N.I.J., chaque administration ou juridiction se découvre la vocation à être "producteur" de ses propres informations dans le cadre du décret;

3) Valoriser les investissements existants, y compris à terme en droit européen, tant sur le plan intellectuel que financier: la répartition des tâches et la nouvelle synergie divisent le risque financier encouru par chaque partenaire. Les priorités définies par la commission détermineront l'ordre d'accès aux diverses sources de financement public et seront fonction de l'intérêt et de l'état d'avancement de projets précis de chaque administration.

Tout chargement sur banque de données de telle ou telle documentation juridique complémentaire de ce qu'on peut interroger au CNIJ ou chez ses associés sera préalablement soumis à l'avis favorable de la commission.

Cette formalité sera nécessaire à l'obtention du visa du contrôleur financier en cas de demande de subvention.

4) Rechercher les conditions dans lesquelles les administrations seront les plus actives, en tant que producteurs, d'une part, en tant qu'utilisateurs massifs de la banque globale, d'autre part. Certes, la prise en charge des tâches d'élaboration des banques de données et les dépenses d'interrogation constituent deux types de coûts assez nouveaux pour les administrations, mais ce sont là deux tâches essentielles qui doivent progressivement se substituer à d'autres.

a) Je rappelle que déjà, dans le budget pour 1985, les crédits d'interrogation ont été augmentés et je souligne que cet effort doit profiter en priorité, si ce n'est en exclusivité, au CNIJ et aux producteurs associés. Cette action sera poursuivie et si possible amplifiée en 1986. Vous voudrez bien me rendre compte de vos intentions d'interrogation en 1985: combien d'heures sont programmées, par quels directions ou services, sur quelles banques de données juridiques, à quelles conditions précises, etc. Il serait également utile de savoir quel élargissement de l'usage des banques de données est souhaitable.

b) En ce qui concerne l'activité éventuellement "productrice de bases" de votre administration, et pour clarifier la situation actuelle, je vous prie de bien vouloir estimer tant vos besoins que vos moyens, en distinguant, d'une part, l'inventaire de ce qui existe (bases commencées ou déjà opérationnelles, leur utilité) et, d'autre part, ce que vous êtes prêts à entreprendre (bases à lancer).

c) Il s'agit là d'une esquisse du schéma directeur de la documentation juridique automatique dans votre département qui doit trouver sa première phase d'application dès 1986, particulièrement pour ce qui concerne les crédits d'interrogation.

J'insiste sur le caractère prioritaire de cette forme particulière de documentation informatisée, qui doit générer des gains de productivité et permettre la compression progressive des dépenses traditionnelles de support papier.

Je vous demande donc de procéder à l'inventaire nécessaire avant le 25 mars 1985 avec la participation du haut fonctionnaire de documentation que vous avez désigné. Un tableau indicatif est fourni en annexe et peut être accompagné de documents à adresser au secrétariat de la commission de coordination, 64 rue de Varenne. Par ailleurs, votre projet de budget pour 1986 fera apparaître quels crédits de documentation et d'informatique seront consacrés à l'interrogation des banques de données juridiques existantes et lesquelles.

Vous savez l'importance que le Gouvernement attache au développement de l'informatique dans l'administration. J'appelle instamment votre attention personnelle sur le caractère très original de ces nouvelles dispositions et je vous demande de leur porter tout l'intérêt qu'elles méritent, pour que le dispositif qui a été arrêté puisse porter ses pleins effets le plus rapidement possible.

 

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