Le besoin de communiquer avec les autres, de les comprendre et de se faire comprendre a conduit les hommes à se créer des signes communs. En effet, la vie en société n'est possible que si les hommes peuvent échanger leurs pensées, et un tel échange suppose l'existence de signes qui, perçus par les sens, reçoivent la même interprétation chez celui qui les émet et celui qui les perçoit.
Si parmi, les différents signes que l'homme a utilisé pour communiquer avec ses semblables, le langage occupe la première place, c'est en raison de la variété infinie et de la précision des moyens qu'il offre. C'est grâce au langage que nous parvenons à fixer nos pensées par des concepts et à combiner ceux-ci dans la pensée logique, qui est l'instrument nécessaire de tout progrès des connaissances et de l'intelligence que nous pouvons avoir de nous-mêmes et du monde." Et le langage a encore cette merveilleuse propriété de pouvoir suggérer les sentiments profonds, mais trop diffus pour se laisser dans le cadre fixe d'un concept, de pouvoir évoquer les mouvements du coeur, les envolées de l'imagination et les replis intérieurs de la sensibilité qui ne sauraient s'asservir aux lois rigoureuses de la froide pensée discursive "[1].
La langue française remplit parfaitement les fonctions du langage. Elle est le produit de l'histoire, d'influences très diverses qui en ont fait ce qu'elle nous apparaît aujourd'hui. A l'origine, les visées étaient de faire avancer la langue française en supplantant le latin et les langues vernaculaires. De par la volonté des pouvoirs publics, la langue française va l'emporter sur les autres langues parlées dans notre pays. C'est alors l'affirmation d'une loi contre une autre. C'est donc en raison de l'intervention de l'Etat et du recours à son pouvoir normatif, que le "français" qui n'était qu'un dialecte est devenu la langue dominante. En effet, c'est avec la monarchie qui mène au XVIème siècle une politique de centralisation et d'unification pour renforcer son autorité sur les territoires de ce qui constituent la France actuelle, que sera prise l'ordonnance de Villers-Cotterêts par François Ier en 1539 qui impose l'usage du français comme langue judiciaire. Cette prescription constitue le premier acte fondateur d'un droit voué à la langue française[2]. A partir du XVIIème siècle, la langue française voit ses positions s'affermir, jusqu'au triomphe sans partage aux XVIIIème siècle et au XIXème siècle.
Ce règne du français dans le cadre de la France s'accompagne d'une préséance du français dans le monde. En effet, les relations internationales vont consacrer la primauté de la langue française. Celle-ci va devenir la langue diplomatique par excellence. La langue française est utilisée pour la première fois dans la rédaction d'un traité en 1714, lors du traité de RASTATT. Bientôt, c'est toute l'élite européenne qui parle français, et notre langue devient obligatoire dans de nombreux pays. Mais le traité de Versailles, en 1919, sonne le glas de la primauté de la langue française. En effet, pour la première fois un traité est rédigé en deux langues. Depuis cette date l'impression qui prévaut généralement est celle d'un recul de la langue française au profit de la langue anglaise qui tend à devenir " la langue universelle ".
Depuis la dernière guerre mondiale, la langue française fait l'objet d'un certain nombre d'atteintes qui ont pour effet un recul de l'emploi de la langue française et la dégradation de son intégrité. Ces atteintes peuvent être constatées à l'échelon international mais aussi en France.
Au plan international, finie l'époque où la langue française était la langue de l'Europe, que tout étranger tenait à l'honneur de savoir comme sa langue maternelle[3].Notre langue a, en effet, subi la concurrence de la langue anglaise, dont l'expansion a d'ailleurs été facilitée par le support de l'Amérique et de l'Empire Britannique. Ce déclin de la langue française au profit de la langue anglaise dépend moins des qualités intrinsèques de cette dernière que la puissance économique et politique qu'elle véhicule. En effet, les progrès techniques, les découvertes scientifiques, les procédés commerciaux étant naturellement propagés à travers le monde sous les noms qu'ils ont reçus à leurs débuts et avec la langue de leurs initiateurs, il était naturel que l'anglais prît l'avantage dans les rapports internationaux[4]. La langue anglaise est par conséquent devenue dans les faits la langue internationale dans tous les domaines, qu'il s'agisse du domaine politique, commercial, et aujourd'hui culturel, scientifique et juridique. Dans certains pays où la langue française compte un nombre important de partisans, la place de celle-ci perd du terrain au profit de l'anglais notamment au sein des générations les plus jeunes. En effet, dans ces pays notamment membres de la communauté francophone, des voix s'élèvent pour proclamer que l'anglais donnera aux jeunes " la clé des emplois bien rémunérés ". Les étudiants étrangers se détournent donc de la langue française car celle-ci présente beaucoup moins d'utilité que l'anglais notamment dans le monde des affaires. Le modèle culturel américain, en effet, tend de plus en plus à séduire les jeunes générations ce qui facilite par conséquent l'implantation de la langue anglaise.
La langue française subit également les assauts de l'anglais en France. Ainsi, trois domaines paraissent particulièrement sensibles. Le domaine économique, tout d'abord, subit les effets de la puissance économique américaine et japonaise. En effet, dans les relations avec l'étranger, les entreprises françaises utilisent exclusivement l'anglais. Dans les relations entre entreprises françaises, l'anglais tend à supplanter peu à peu la langue française dans certains secteurs, comme celui de l'aéronautique et désormais de l'informatique. Le deuxième domaine sensible est celui des sciences. Dans les colloques organisés en France par les organismes français et financés sur fonds publics, les scientifiques français s'y expriment souvent en langue anglaise. Les revues scientifiques françaises comprennent plus d'articles en anglais qu'en français.[5] L'emprise de l'anglais s'expliquerait ici, d'une part, par le sentiment des scientifiques d'appartenir à la communauté scientifique internationale dominée par le monde anglo-saxon, et d'autre part, par la recherche d'une audience internationale, audience qui serait impossible à un article rédigé en français et publié dans une revue française. Le troisième domaine est celui de la communication. En effet, depuis plusieurs années, on dénonce l'invasion de termes étrangers à la radio et à la télévision.
Depuis la dernière guerre mondiale, l'Etat est donc intervenu dans le domaine linguistique non plus pour étendre les conquêtes de la langue française mais de la défendre face à l'expansion " foudroyante " de la langue anglaise qui tend à s'imposer et à améliorer ses positions à l'étranger et également en France. Dans un premier temps, l'Etat a réglementé l'emploi de la langue française en adoptant une mosaïque de textes disparates assortis ou non de sanctions concernant différents secteurs de l'activité administrative et juridique imposant l'emploi obligatoire de la langue française, ceux-ci s'intégrant dans une politique linguistique sans grande cohérence, faute de mesures d'ensemble. C'est dans les années 70 que pris naissance l'idée d'un texte de portée générale relatif à l'emploi de la langue française, idée qui se concrétisera par l'adoption de la loi du 31/12/1975[6] abrogée depuis par la loi du 4/08/1994[7] qui à vocation à la remplacer avec plus d'efficacité.
Il aura donc fallu attendre plus de 170 années pour que la France se dote d'une législation linguistique de portée nationale, fruit de la prise de conscience de la nécessité de protéger la langue française. Cet ensemble de dispositions générales ou spécifiques forment ainsi un droit[8] voué à la langue française[9]. En 1992, le droit de la langue française s'est enrichi d'un texte de nature constitutionnelle qui déclare que " la langue de la République est le français "[10]. Ainsi, la langue française va rejoindre " dans le plus magnifique des articles de notre constitution à savoir son article 2, les principes majeurs de la République: l'hymne, le devise, le drapeau et les libertés "[11]. Affirmer dans notre constitution que le français est la langue de la République, c'est reconnaître la nécessité de défendre notre langue et de lutter contre sa dégradation.
Au cours de notre étude consacrée aux règles de droit imposant l'emploi obligatoire de la langue française, nous nous refusons de faire uniquement l'inventaire de ces règles même si ce travail présente un grand intérêt[12]. Là n'est pas notre ambition[13]. En effet, celle-ci consiste avant tout à présenter le dispositif mis en place par l'Etat pour mener son action de défense et de promotion de la langue française visant à préserver ou à renforcer sa présence en France et à l'étranger et à en apprécier les effets.
[1] V.Delaporte, " La loi relative à l'emploi de la langue française ", REVUE CRITIQUE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVE 1976 page 92.
[2] La naissance d'une politique linguistique nationale: Article 111 de l'ordonnance de Villers Cottterêts " Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenues esdits advenues anests, nous voulont d'oresnavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autre quelconques, actes et exploits de justice, ou qui en dépendant, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement ".
[3] M.MERLIN, Répertoire, voir la langue française, ndeg.1.
[4] Les aspects internationaux du français: Document figurant à l'annexe de cette étude.
[5] notamment certaines revues publiées par l'institut PASTEUR.
[6] LOI ndeg.75-1349 du 31/12/1975, J.O.R.F du 4/01/1976, page 189, DALLOZ 1976 page 74.
[7] LOI ndeg.94-665 du 4/08/1994, J.O.R.F du 5/08/1994, page 11392, DALLOZ 1994 page 416.
[8] C'est à dire un corps de régles formant le statut juridique de la langue française.
[9] La langue française est ainsi l'objet de règles de droit s'exprimant par des impératifs, des interdits, voire de simples directives linguistiques.
[10] Révision constitutionnelle ndeg.92-554 du 22/06/1992, J.O.R.F du 26/06/1992, page 8406, commentaire R.DEBBASCH, revue française de droit constitutionnel, ndeg.11, 1992, page 457 à 468.
C'est à l'occasion d'une révision constitutionnelle devant consacrer dans notre constitution " la citoyenneté européenne ", qu'un amendement a été proposé et voté déclarant que la " langue de la République est le français ".
[11] M.X.DENIAU, J.O.R.F AN, séance du 12/5/1992 page 1019.
[12] C'est à dire le droit relatif au " status " de la langue française, par opposition au droit relatif au " corpus " de la langue française qui sera traité dans le chapitre 2 de cette partie.
[13] Il existe probablement un grand nombre de textes dans lesquels il est fait référence à la langue française.
Un recensement de ces différents textes serait sans doute utile, indéniablement intéressant mais un tel travail serait difficile et aurait rendu notre étude sans grande cohérence.
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