Bulletin Officiel du Ministère de la Justice No 43 du 30 septembre 1991 Circulaire Crim 91-10 F1 du 26 septembre 1991 Présentation de l'ensemble des dispositions de la loi et commentaire de celles d'entre elles relatives aux interceptions ordonnées par l'autorité judiciaire. Procédure pénale. Interceptions. Réf: Loi No 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie de télécommunications. La loi No 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er octobre 1991, a fait l'objet d'une note d'information qui vous a été adressée le 16 juillet 1991. La présente circulaire a pour objet d'exposer l'ensemble des dispositions de la loi dont le texte est joint en annexe et de commenter, article par article, celles d'entre elles qui sont insérées dans le Code de procédure pénale. Ce texte, conforme aux engagements internationaux de la France, s'articule autour de trois règles indissociables: - seule l'autorité publique peut porter atteinte au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications; - cette atteinte doit être justifiée par des nécessités d'intérêt public; - l'interception des communications ne peut être prescrite par l'autorité publique que dans les conditions et limites fixées par la loi. La loi comporte trois titres. Le titre premier, consacrant pour l'essentiel le droit positif tel qu'il résultait notamment de la jurisprudence de la Cour de cassation, précise les conditions auxquelles doivent désormais satisfaire les interceptions de communications ordonnées par l'autorité judiciaire. Ces conditions, comparables à celles posées par la plupart des législations étrangères des pays occidentaux, traduisent la volonté de réserver les mesures d'interception aux infractions les plus graves. Les dispositions de ce titre, insérées dans le Code de procédure pénale sous les articles 100 à 100-7, font l'objet d'un commentaire présenté en annexe sous numérotation C. J'appelle dès à présent votre attention sur la prochaine insertion dans le répertoire de l'instruction d'une rubrique spécifique destinée à faire apparaître si une mesure d'interception a été ordonnée au cours de l'information. Le titre II de la loi réglemente le droit reconnu à l'autorité gouvernementale d'ordonner, à titre exceptionnel, des interceptions de communications dites "interceptions de sécurité". Ces interceptions sont autorisées par le Premier ministre sur proposition écrite et motivée du ministre de l'Intérieur, du ministre de la Défense ou du ministre chargé des Douanes. Relevant exclusivement de la police administrative, les interceptions de sécurité ont pour objet la recherche de renseignements intéressant: - la sécurité nationale; - la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France; - la prévention du terrorisme, de la criminalité, de la délinquance organisée et de la reconstitution ou du maintien des groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées. De telles interceptions sont susceptibles d'intéresser l'autorité judiciaire lorsque l'autorité administrative, acquérant la connaissance d'un crime ou d'un délit à l'occasion d'une interception de sécurité, saisit le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale. Dans une telle hypothèse, il convient que le procureur de la République soit destinataire, sous réserve des dispositions relatives au secret défense, de l'ensemble des éléments d'information utiles à l'exercice de l'action publique. L'autorité judiciaire peut également être saisie, par la commission nationale chargée du contrôle des interceptions de sécurité, de toute infraction aux dispositions de la loi dont cette autorité a connaissance à l'occasion des contrôles qu'elle exerce de sa propre initiative ou sur réclamation des particuliers. Le titre III de la loi consacré aux dispositions communes comporte des dispositions pénales nouvelles destinées à assurer une meilleure protection du secret des correspondances émises par la voie des télécommunications. D'une part, le droit au secret des correspondances se voit pleinement consacré dans le Code pénal. En effet, la loi insère, avant l'article 187 relatif à la violation du secret des correspondances postales, un article 186-1 qui incrimine la violation du secret des correspondances émises par la voie des télécommunications. Cette incrimination, que recouvrait partiellement l'article L. 41 du Code des postes et télécommunications, est désormais de portée générale. Sont en effet visés, outre les personnes admises à participer au service des télécommunications, tout dépositaire ou agent de l'autorité publique agissant dans l'exercice de ses fonctions et tout particulier. Les agissements incriminés sont l'interception ou le détournement des correspondances, l'utilisation ou la divulgation de leur contenu. La violation du secret des correspondances auquel sont astreints, en application de l'article L. 32-3 du Code des postes et télécommunications, les agents qui concourent au service des Télécommunications demeure toutefois spécifiquement incriminée par l'article L. 41 de ce code qui renvoie désormais aux peines de l'article 186-1 du Code pénal. En revanche, l'infraction édictée par l'article L. 42 de ce même code, qui ne concernait pas exclusivement les agents du service des Télécommunications, est abrogée, ses éléments constitutifs étant repris dans l'article 186-1 du Code pénal. D'autre part, l'article 371 du Code pénal est modifié afin de faciliter la mise en oeuvre de la réglementation des appareils d'interception. En premier lieu, son champ d'application est précisé. Sont soumis à un régime d'autorisation les appareils conçus pour réaliser les opérations pouvant constituer l'infraction de violation du secret des correspondances prévue à l'article 186-1 et ceux qui, conçus pour la détection à distance des conversations, permettent la réalisation de l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée à l'article 368. En deuxième lieu, le texte, en disposant que la liste des appareils soumis à autorisation est dressée dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, autorise son établissement par voie d'arrêté. Enfin, est créée une incrimination nouvelle visant à interdire la publicité en faveur d'un appareil susceptible de permettre la réalisation des infractions prévues par les articles 186-1 ou 368 lorsqu'elle constitue une incitation à commettre l'une ou l'autre de ces infractions. Je vous prie de bien vouloir veiller à la diffusion de la présente circulaire et de me tenir informé des difficultés que pourrait susciter l'application des dispositions nouvelles. Pour le garde des Sceaux : Le directeur des Affaires criminelles et des Grâces, Franck TERRIER. ANNEXE LIVRE PREMIER DE L'EXERCICE DE L'ACTION PUBLIQUE ET DE L'INSTRUCTION Titre troisième Des juridictions d'instruction Chapitre premier: Du juge d'instruction: juridiction d'instruction du premier degré Section III: Des transports, des perquisitions, des saisies et des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications. Sous-section I Des transports, des perquisitions et des saisies (art. 92 à 99 inchangés) Sous-section II Des interceptions de correspondance émises par la voie des télécommunications Article 100 C. 100. L'article 100 définit le cadre juridique dans lequel peuvent être ordonnées des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications. Par référence à l'article L. 32 du Code des postes et télécommunications, on entend par télécommunication, "toute transmission, émission ou réception de signes, signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature par fil, optique, radio-électricité ou autres systèmes électromagnétiques". Entrent donc dans le champ d'application de ce texte, les interceptions de correspondances émises ou reçues sur des équipements terminaux tels que téléphone, télécopieur, minitel, récepteurs de services de radio-messagerie unilatérale, télex. Ne permettant pas d'intercepter les communications, le procédé technique dit "indicateur d'appels malveillants", généralement utilisé à la demande et avec le consentement de la victime afin d'identifier le numéro de téléphone de l'auteur des appels, demeure hors du champ d'application du texte. 1. Autorité pouvant ordonner l'interception. Sont désormais prohibées les interceptions de correspondances ordonnées par le parquet au cours de l'enquête préliminaire ou de flagrance dont la Cour de cassation avait, dans l'état antérieur du droit positif, solennellement affirmé le caractère illicite (assemblée plénière, 24 novembre 1989). En effet, le législateur a entendu réserver au juge d'instruction le pouvoir d'ordonner des interceptions de communications dont il a pris soin de préciser qu'elles devaient être effectuées sous son autorité et son contrôle. Toutefois, par l'effet d'un renvoi de texte à texte, la chambre d'accusation et la cour d'assises se voient également reconnaître le pouvoir d'ordonner des interceptions de correspondances dans le cadre d'un supplément d'information (art. 205 et 283). Enfin, sous réserve d'une interprétation différente de la jurisprudence, la rédaction de l'article 463 relatif au supplément d'information ordonné par le tribunal correctionnel, paraît autoriser le magistrat délégué par la juridiction à prescrire, par commissions rogatoire, une interception de correspondances. 2. Conditions de fond. En soumettant les interceptions de correspondances à des conditions assez strictes, le législateur a clairement entendu distinguer cet acte d'information de tous ceux que le juge, conformément à l'article 81, peut ordonner sans restriction dès lors qu'ils sont utiles à la manifestation de la vérité. En effet, le juge d'instruction ne peut recourir à une interception de correspondances qu'en matière criminelle et, en matière correctionnelle si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement. De surcroît, il ne peut ordonner cette mesure que "si les nécessités de l'information l'exigent". Cette double condition, comme en témoignent les travaux préparatoires, traduit, dans notre droit interne, le principe de proportionnalité dégagé par la Cour européenne des Droits de l'homme sur le fondement de l'article 8 de la convention. Le respect de ce principe avait d'ailleurs conduit la Cour de cassation, dans le dernier état de sa jurisprudence, à limiter le recours aux écoutes et enregistrements téléphoniques à "la recherche de la preuve d'un crime ou de toute autre infraction portant gravement atteinte à l'ordre public". 4. Personnes susceptibles de faire l'objet d'une interception de correspondances. La loi ne précise pas les catégories de personnes susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'interception. Il en résulte qu'une interception de correspondances peut être ordonnée à l'encontre d'un inculpé et de toute personne paraissant avoir participé aux faits, objet de l'information, ou susceptible de détenir des renseignements relatifs à ces faits. 5. Nature de la mesure. L'interception de correspondances est une mesure d'investigation ne revêtant pas de caractère juridictionnel. Si la décision de prescription d'une interception de correspondances doit être écrite, elle n'a pas à être motivée et n'est susceptible d'aucun recours. Article 100-1 C.100-1. L'article 100-1 précise les éléments que doit obligatoirement comporter la décision du juge. Il s'agit: - de tous les éléments dont dispose le juge et qui permettent d'identifier la liaison à intercepter; il s'agira le plus souvent du numéro de la ligne et, le cas échéant, du nom de son titulaire; - de l'infraction objet des poursuites qui motive le recours à l'interception; - de la durée de l'interception. La loi n'imposant pas, au-delà de ces mentions obligatoires, de formalisme particulier, la décision du juge pourra revêtir, selon qu'il exercera directement ou non le pouvoir qu'il tient de la loi, la forme d'une ordonnance ou celle d'une commission rogatoire. Dans ce dernier cas, les articles 151 à 155 seront applicables. Article 100-2 C.100-2. En fixant la durée maximum de l'interception à quatre mois renouvelables, le législateur a entendu éviter que l'exécution de cette mesure puisse se prolonger indéfiniment sur le fondement de la décision initiale du juge sans que ce dernier en contrôle régulièrement les résultats et en apprécie l'utilité. Aussi, dans l'hypothèse où il apparaîtra indispensable au juge de renouveler la mesure d'interception, sa décision de prolongation devra-t- elle répondre aux mêmes conditions de fond et de forme que sa décision initiale. Une telle mesure pourra être renouvelée autant de fois qu'il est nécessaire à la poursuite de l'information. Article 100-3 C.100-3. La mise en place du dispositif d'interception ne peut être confiée qu'ê des agents qualifiés qui participent au service public des Télécommunications - fonctionnaires du ministère des Postes et Télécommunications, agents de l'exploitant public (France-Télécom) ou agents d'exploitants de réseaux ou de fournisseurs de services autorisés. En pratique, les réquisitions du juge d'instruction ou de l'officier de police judiciaire par lui commis devront être adressées au président de l'exploitant du réseau de télécommunications ou du fournisseur de service de télécommunications autorisé 1. 1. Un décret, à paraître, pris à l'initiative du ministre des Postes et Télécommunications précise les procédures internes de désignation des agents qualifiés. Les agents requis, astreints au respect du secret de l'instruction prévu par l'article 11 du Code de procédure pénale et au respect du secret des correspondances prévu par l'article L. 32-3 du Code des postes et télécommunications, ne peuvent ni révéler l'existence des interceptions, ni prendre connaissance des correspondances interceptées, ni en révéler le contenu. Article 100-4 C.100-4. L'article 100-4 précise les formalités qui s'attachent aux opérations d'interception et d'enregistrement des correspondances. Il consacre, pour l'essentiel, la pratique jusqu'alors suivie par les magistrats et officiers de police judiciaire. L'opération d'interception doit donner lieu à l'établissement d'un procès- verbal qui mentionne la date et l'heure auxquelles elle a commencé et celles auxquelles elle s'est terminée. L'enregistrement des correspondances donne également lieu à l'établissement d'un procès-verbal qui précise, pour chacune d'entre elles, la date et l'heure auxquelles l'enregistrement a commencé et celles auxquelles il s'est terminé. Il convient de souligner que la loyauté de l'information et le respect du principe du contradictoire commandent que toute correspondance enregistrée soit conservée dans son intégralité. Enfin, l'obligation, avant tout versement au dossier de l'information, de placer les enregistrements sous scellés fermés, au sens de l'article 97, a pour objet d'assurer leur intégrité. Si les prescriptions de l'article 100-4 satisfont à l'exigence d'exhaustivité des enregistrements soulignée par la Cour européenne des Droits de l'Homme, elles n'interdisent pas que, conformément à l'article 81, des copies des enregistrements puissent être effectuées si les nécessités de l'information l'exigent. Article 100-5 C.100-5. L'article 100-5 précise que seules les correspondances utiles à la manifestation de la vérité font l'objet d'une transcription par procès- verbal. Cette transcription incombe au magistrat instructeur ou à l'officier de police judiciaire commis par lui avec l'assistance, le cas échéant, d'un interprète. En l'absence de disposition dérogeant au droit commun, les procès-verbaux de transcription doivent être versés au dossier de l'information dans les conditions prévues par l'article 81. Article 100-6 C.100-6. Le législateur n'a pas entendu permettre la conservation des enregistrements au-delà de ce que pouvaient justifier les nécessités de l'ordre public. Aussi a-t-il prévu que les enregistrements devaient être détruits à la diligence du procureur de la République ou du procurer général à l'expiration d'un délai qui est celui de la prescription de l'action publique. Le point de départ de ce délai, de trois ans en matière correctionnelle et dix ans en matière criminelle, court à compter de la décision définitive sur les poursuites, qu'il s'agisse d'une décision de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou de condamnation. Il appartiendra, à l'expiration des délais fixés par la loi, au procureur de la République ou au procureur général de faire procéder à la destruction des enregistrements. Afin que les autorités judiciaires soient en mesure de respecter les prescriptions de la loi, une procédure spécifique d'inventaire des enregistrements placés sous scellés et conservés par les greffes devra être mis en oeuvre. Article 100-7 C.100-7. S'inspirant des dispositions de l'article 56-1 relatif aux formalités applicables en cas de perquisitions dans un cabinet d'avocat ou à son domicile, l'article 100-7, qui résulte d'un amendement parlementaire, précise que le juge d'instruction doit informer le bâtonnier de l'ordre des avocats lorsqu'il ordonne une interception de correspondances sur une ligne dépendant d'un cabinet d'avocat ou de son domicile.
Retour au Sommaire Défense Nationale