Les Sociétés d'Exercice Libéral:
Enjeux de la capitalisation de l'activité libérale

par Cyril Tardif

Partie II - Sous-Partie I

Les sociétés d'exercice libéral confrontées à
l'évolution de l'exercice des professions libérales


L'évolution de la conception de l'exercice d'une profession libérale a entraîné une scission entre les besoins des professionnels et les structures juridiques mises à leur disposition pour encadrer leur activité.

Les structures juridiques qui permettaient jusqu'alors d'organiser l'exercice d'une activité libérale, de nature civile, à l'exception de quelques dérogations, s'avéraient inadaptées pour faire face à l'augmentation de la concurrence qui s'est développée au sein du monde libéral.

Les professionnels cherchent, certes, à se rapprocher du monde des affaires pour en accaparer les modes de gestion, mais également pour en emprunter l'esprit d'entreprise. Ainsi, d'une vocation purement altruiste, sacerdotale, l'exercice d'une profession libérale est devenu une activité économique et un moyen de tirer des profits d'une activité intellectuelle.

Cette évolution vers le mercantilisme est certes sensible, mais elle n'a cependant pas gommé toute différence entre les professions libérales et celles traditionnellement commerciales ou civiles.

Néanmoins, il est indéniable que l'esprit libéral est en mutation et que cette transformation tend à rapprocher les modes d'exercice des mondes libéral et commercial.

Les différences entre les aspirations des professionnels et les moyens qui étaient mis à leur disposition pour organiser l'exercice des activités libérales ont abouti à une réforme de grande ampleur en 1990. Cette réforme comporte trois phases, la fusion de deux professions du droit: les avocats et les conseils juridiques, la réorganisation de la réglementation en matière de consultation juridique et l'ouverture de l'exercice aux sociétés de capitaux.

Les différents éléments de cette réforme laissent apparaître une prééminence de la matière juridique sur les autres familles de professions libérales. Dès lors, l'institution des sociétés d'exercice libéral, à l'objet plus vaste que les deux autres pans de la réforme, s'est inévitablement trouvée affectée par la discipline juridique et en particulier par la lutte effrénée que se sont livrées les professions d'avocat et de conseil juridique par l'intermédiaire des représentants de leurs structures professionnelles et ordinales.

Cette prépondérance des professions du droit dans la mise en place des sociétés d'exercice libéral n'apparaît pas dans les seules dispositions de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1990. Au contraire, elle est omniprésente et notamment dans la volonté affichée de limiter la présence de capitaux extérieurs et le pouvoir des investisseurs afin de sauvegarder l'intégrité des praticiens et de les préserver de toute pression extérieure. La réduction des facultés d'investissement des sociétés d'exercice libéral contrevient en partie aux aspirations des professionnels, mais est apparue comme la solution la plus sage pour faire cohabiter le capital et les caractéristiques de l'activité libérale.

Les sociétés d'exercice libéral, mises à part les restrictions aux possibilités d'apports par des investisseurs externes, s'inscrivent dans l'évolution du monde libéral. Ces nouvelles structures, en tant que groupement d'exercice de l'activité disposent d'une clientèle distincte de celle de leurs membres. Cette clientèle propre à la société va permettre d'envisager des formes d'exercice qui n'avaient encore pu être mises en place, notamment la constitution de sociétés pour administrer plusieurs professions La mise en place des sociétés d'exercice libéral, ayant largement fait intervenir les organes professionnels des différentes familles libérales, celles-ci devraient présenter les caractéristiques souhaitées par les praticiens pour administrer leur activité dans les conditions imposées par l'évolution de l'exercice et ainsi permettre de satisfaire les besoins de la clientèle.

SOUS-PARTIE I - LES SOCIETES D'EXERCICE LIBERAL CONFRONTEES A L'EVOLUTION DE L'EXERCICE DES PROFESSIONS LIBERALES

Le monde libéral a connu une phase de mutation importante durant ces dernières années. Les transformations qui animent ce secteur d'activité sont dominées par des préoccupations d'ordre économique. Les sociétés d'exercice libéral, comme nouveau mode d'exercice de l'activité libérale, s'inscrivent dans cette évolution de la conception des professions libérales.

La réforme de décembre 1990 a abouti à la promulgation de deux lois qui, toutes les deux, portaient sur les professions libérales, mais la première s'attachait à réorganiser une catégorie professionnelle spécifique, alors que la seconde instituait une structure d'organisation de l'exercice à vocation généraliste. Les deux lois sont certes distinctes mais elles font partie d'une même réforme dont l'objectif est d'augmenter la compétitivité des professionnels libéraux.

Les enjeux de la loi No090-1259 du 31 décembre 1990 qui porte réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et plus particulièrement fusionne les professions d'avocat et de conseil juridique, vont avoir des conséquences sur la mise en place du statut des sociétés d'exercice libéral.

Cette loi du 31 décembre 1990 pour revitaliser le secteur des métiers du droit, certainement victime de son morcellement, va créer une nouvelle profession et en définir le champ d'application. La loi No 1258 du 31 décembre 1990 s'attachant au mode d'exercice des professions libérales va instituer une structure d'organisation sociale qui va s'efforcer de satisfaire les praticiens en tenant compte de l'évolution de la notion de profession libérale. Pour parvenir à cet objectif, la loi va s'inscrire dans le courant de rapprochement du monde libéral avec le monde des affaires. En instituant les sociétés d'exercice libéral, la loi entérine l'idée que l'exercice d'une profession libérale constitue désormais une véritable entreprise. Des différences essentielles perdurent entre cette dernière et une entreprise commerciale traditionnelle, mais le rapprochement de l'exercice des activités libérale et commerciale est sensible.

Ce phénomène ne s'est cependant pas réalisé brutalement mais, au contraire, relève d'une lente progression. L'extension du droit commercial à des activités traditionnellement civiles s'est particulièrement intensifiée après la Seconde Guerre Mondiale puisque notamment, dès cette époque, la profession d'expert-comptable a pu être exercée sous forme de sociétés commerciales classiques, alors que la profession de conseil juridique a toujours pu bénéficier de cette dérogation.

Cette convergence des modes d'exercice ne semble cependant pas conduire à une assimilation de la sphère libérale par le droit des affaires. Ce dernier est en effet à la recherche d'une déréglementation et il n'a plus les vocations hégémoniques du passé. En outre, les professionnels libéraux veillent à conserver leur spécificité.

La volonté de préserver l'esprit libéral qui est présente chez l'ensemble des professionnels trouve son fondement dans la distinction entre la profession et son mode d'exercice. Le rapprochement prôné par les professionnels se cantonne ainsi aux seules structures juridiques d'encadrement de la profession afin de garantir le développement des activités libérales.

Les sociétés d'exercice libéral instituées par la loi du 31 décembre 1990 tentent de répondre aux attentes des professionnels en mettant en place une structure performante d'organisation de l'exercice. La loi du 31 décembre 1990 n'a pas pour objectif d'assimiler le monde libéral et le monde des affaires.

Malgré la vocation généraliste des sociétés d'exercice libéral, la mise au point de leurs statuts a largement été influencée par la création d'une nouvelle profession du droit. Les restrictions apportées à l'ampleur de la réforme par les pressions des divers organes professionnels ne remettent pas en cause les avantages d'une structure inspirée par les sociétés de capitaux pour mener à bien l'exercice moderne d'une profession libérale.

Chapitre I - Le secteur judiciaire et juridique au coeur de la réforme

La loi du 31 décembre 1990 instituant les sociétés d'exercice libéral fait partie d'une réforme globale du monde libéral qui intéressait cependant en premier lieu les professions judiciaires et juridiques. A coté de la création des sociétés d'exercice libéral, le législateur s'est attaché à réformer deux professions du droit, celle d'avocat et celle de conseil juridique.

Cette double réforme a eu des conséquences sur la mise en place du statut des sociétés d'exercice libéral qui ont dû avant tout répondre aux exigences de la nouvelle profession d'avocat. Plus exactement, elles devaient pouvoir se substituer aux sociétés commerciales autorisées pour l'exercice de la profession de conseil juridique qui étaient vouées à disparaître sans que le passage de l'ancienne structure à la nouvelle soit perturbateur pour les membres de cette profession.

Les avocats tenaient, quant à eux, à conserver les caractéristiques de leur profession et se montraient hostiles à la création d'une structure d'organisation sociale qui se présentait en rupture par rapport au mode d'exercice de la profession.

L'antagonisme des deux parties va entraver l'élaboration des sociétés d'exercice libéral et influer sur leur nature juridique.

Ainsi, la création des sociétés d'exercice libéral est intimement liée à l'apparition d'une nouvelle profession du droit et empreinte des enjeux qui ont sous-tendu cet avènement.

Section I - La loi No 90-1258 du 31 décembre 1990 influencée par le contexte de la réforme

Les sociétés d'exercice libéral, nouvelles structures tournées vers le capitalisme, devaient certes permettre une meilleur compétitivité de l'ensemble du monde libéral, mais également, à plus brève échéance, remplacer les sociétés commerciales de conseil juridique.

Or, en 1990, les tensions qui ont animé la réforme des professions du droit ont été d'une telle ampleur que la mise en place du statut des sociétés d'exercice libéral a été en passe d'échouer.

C'est pourquoi, l'effort particulier de conciliation d'intérêts contraires que demanda la réforme dite de la profession d'avocat, se retrouve dans la loi du 31 décembre 1990.

A - La création d'une nouvelle profession

L'accroissement des besoins de droit a conduit à une réforme de grande ampleur en 1990. Celle-ci devait mettre fin au morcellement excessif des professions du droit en regroupant les avocats et les conseils juridiques au sein d'une même profession. Cette fusion de ces deux professions a été réalisée par la loi No 1259 du 31 décembre 1990. Certaines autres professions judiciaires et juridiques ont également fait l'objet d'une révision annexe qui introduisit la possibilité d'exercice sous forme salariée.

La fusion des professions d'avocat et de conseil juridique domine cependant la réforme des professions du droit.

La loi du No1259 du 31 décembre 1990, réalise le rapprochement de deux professions qui, quoique voisines, restaient jusqu'alors distinctes.

La profession d'avocat en tant qu'auxiliaire de justice relevait du cadre juridique par le conseil à la clientèle, et judiciaire par la représentation des clients devant les juridictions.

Les conseils juridiques dont l'origine est bien plus récente que celles des avocats n'avaient pas de prérogatives judiciaires et se contentaient de consultations et d'écritures sous seing privé. Leur champ d'intervention était le droit des affaires et plus particulièrement le monde de l'entreprise, alors que les avocats intervenaient traditionnellement au niveau du droit des personnes et de la défense pénale.

Sous l'influence de la concurrence et de l'extension sensible du marché du droit, les avocats ont élargi leur champ d'investigation au droit des affaires entrant ainsi directement en concurrence avec les conseils juridiques.

La profession de conseil juridique souffrait pour sa part de ne pouvoir intervenir au niveau judiciaire.

La loi No 1259 du 31 décembre 1990 s'est donc efforcée de concilier, pour reprendre les termes de M. Luc Dejoie, le judiciaire et le juridique.

Les différences de nature des deux professions laissaient déjà présager des difficultés de rapprochement, difficultés encore accrues par des modes d'exercice divergents. Les avocats exerçaient principalement au sein de cabinets individuels ou de groupements civils de petite taille, tels que des associations relevant de la loi de 1901 ou des sociétés civiles professionnelles. Au contraire, la profession de conseil juridique se pratiquait essentiellement sous forme de sociétés commerciales.

Ces modes d'exercice dissemblables ont ajouté aux difficultés de réunion des deux professions et ont inévitablement influé sur la création des sociétés d'exercice libéral.

Plus de quatre années après la fusion des deux professions, les résultats de la réforme sont mitigés. Les conséquences ont certes pu être bénéfiques pour certains professionnels déjà en place, mais elles ont également entraîné l'inflation des vocations et conduit à saturer le marché. En outre, les clivages traditionnels entre les deux professions demeurent, malgré une identité de prérogative et de compétence.

Les anciens conseils juridiques, dont toutes les revendications n'ont pas été prises en compte par les deux lois du 31 décembre 1990, se sentent lésés par la réforme. Or, les sociétés d'exercice libéral pouvaient et peuvent encore être un instrument juridique pour mener à bien la fusion de ces deux professions. Elles sont, en effet, un moyen de faire cohabiter au sein d'une même structure, d'une même entreprise, des professionnels de spécialités différentes et notamment des membres des anciennes professions d'avocat et de conseil juridique.

La mise en place des sociétés d'exercice libéral est, par conséquent, largement tributaire de la réforme des professions judiciaires et juridiques.

Si, ces sociétés de capitaux ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des profession libérales, il n'en demeure pas moins qu'elles ont eu pour objectif premier de permettre un exercice moderne des professions du droit et, principalement, de la nouvelle profession d'avocat, en substituant les sociétés commerciales de conseil juridique autorisées par la loi du 31 décembre 1971.

B - L'interdépendance de la réforme des professions du droit et de l'ouverture à la capitalisation.

La modernisation des conditions d'exercice des professions libérales était une suite logique à la réforme des professions du droit.

La profession de conseil juridique connaissait deux modes d'exercice ignorés de la profession d'avocat: le salariat et l'exercice sous forme de société commerciale.

La loi No 90-1259 du 31 décembre 1990 a mis en place les conditions d'exercice de la profession sous forme salariée. Au contraire, la création d'une structure d'exercice d'inspiration capitaliste se fera par le biais d'une loi distincte, la loi No 90-1258 du 31 décembre 1990.

Malgré cette séparation factuelle qui traduit la vocation généraliste des sociétés d'exercice libéral, puisque le champ d'application de la loi est l'ensemble des professions libérales, l'instauration des sociétés d'exercice libéral est indissociable de la réforme des professions du droit.

Les deux textes sont intimement liés parce que les professions libérales du droit étaient les seules à ne connaître aucune dérogation permettant la constitution de sociétés commerciales. Certes, les conseillers juridiques pouvaient constituer des sociétés commerciales tout en appartenant à la sphère juridique, mais la profession de conseil juridique se démarquait des professions traditionnelles du droit issues de l'Ancien Régime par son apparition récente qui ne remonte qu'au début de ce siècle.

A l'inverse, les autres familles de professions libérales, médicales ou techniques, pouvaient dès avant la réforme du 31 décembre 1990, constituer des structures commerciales particulières adaptées à l'exercice de chacune de leurs activités.

Ensuite, l'assimilation de la profession de conseil juridique à celle d'avocat faisait ipso facto obstacle à l'exercice sous forme de sociétés commerciales. Il n'était évidemment pas souhaitable de transformer ces dernières en sociétés civiles professionnelles. Cette transformation aurait nui à l'exercice de la profession de conseil juridique et ne correspondait ni aux attentes des professionnels, ni à l'objectif de modernisation des professions du droit.

Enfin, les rapports de M.M. Luc Dejoie et Philippe Marchant font ressortir la dépendance des deux textes puisque l'échec de la fusion des deux professions aurait certainement entraîné l'abandon des deux projets de lois.

L'importance de l'intervention des instances professionnelles du droit et particulièrement de la profession d'avocat, a conduit à mettre en place une structure qui, tout en étant destinée à l'ensemble des professions libérales, devait répondre, avant tout, aux attentes des professionnels du droit.

L'opposition des professions du droit à un mercantilisme trop brutal a permis l'émergence, au-delà même des sociétés d'exercice libéral, de l'idée d'un nécessaire maintien des caractères distinctifs du monde libéral.

Section II - Une volonté de maintien de la spécificité libérale dans la capitalisation

Les conséquences de la prééminence des professions du droit sur la nature et le fonctionnement des sociétés d'exercice libéral sont substantielles.

La plus importante reste sans conteste les règles de détention du capital social. Les organes professionnels et groupements de la profession d'avocat se sont montrés particulièrement réticents à l'égard de la capitalisation. La possibilité que des personnes étrangères à la profession puissent être partie à la constitution de sociétés d'exercice paraissait faire peser une menace sur les principes fondamentaux de déontologie. Les mêmes réserves étaient émises à l'égard des participations croisées entre sociétés d'avocats.

Le premier point se retrouve à l'article 6 de la loi du 31 décembre 1990. Cette exclusion de tous capitaux extérieurs dans les sociétés d'exercice libéral judiciaires et juridiques résulte directement des pressions des instances et autres organes professionnels d'avocats.

Cette exclusion est surprenante à deux égards.

Comme le faisait remarquer M. Claude Champaud au lendemain de l'adoption de la loi, les professionnels du droit seraient-ils plus sensibles à la corruption que les autres professionnels libéraux? Cette interdiction aurait, au contraire, pu ne s'adresser qu'aux professions libérales extrajudiciaires qui sont moins empruntes de probité.

Cette exception est d'autant plus étrange que les sociétés de conseils juridiques pouvaient pourtant accueillir une minorité de participations extérieures à la profession sans qu'il en résulta d'inconvénients notables.

De plus, les règles de fonctionnement de la société et le contrôle de l'ensemble des flux financiers, de l'avis unanime des commentateurs, présentaient des garanties d'indépendance suffisantes.

Cette exclusion des capitalistes extérieurs est dommageable pour le dynamisme économique de la société et n'écarte pas le risque de pressions que peuvent subir les associés de la part d'un établissement financier auprès duquel ils sont endettés.

L'origine de cette interdiction se trouve peut-être dans l'histoire, la tradition. Les professions du droit ont toujours été de nature civile. Dès lors, admettre des capitalistes étrangers dans une société d'exercice libéral judiciaire ou juridique, c'est se rapprocher du monde commercial. La même raison est certainement en partie à l'origine de la compétence exclusive des tribunaux civils.

La compétence des tribunaux civils en matière de société d'exercice libéral tient également à l'attachement des professionnels du droit à leur caractère civil. Il faut d'ailleurs noter que, lorsque le Tribunal de Commerce de Paris s'est reconnu compétent pour l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'une société d'exercice libéral d'avocats, l'ordre des avocats de la Cour d'Appel de Paris avait vivement protesté et même tenté d'intervenir à l'instance pour faire déclarer l'incompétence dudit Tribunal.

A la différence de l'interdiction des capitaux extérieurs, cette compétence exclusive des tribunaux civils s'inscrit dans la logique de respect des principes fondamentaux des professions libérales.

Enfin, la clause compromissoire que permet l'article 15 alinéa 2, était demandée en premier lieu par les professionnels du droit qui exerçaient en sociétés ou groupements.

Le régime de responsabilité de la société d'exercice libéral traduit également une volonté de maintien de la spécificité libérale. Le professionnel libéral a toujours personnellement été tenu responsable de ses actes professionnels et il est honorable qu'une structure de type capitaliste ne permette pas d'écarter cette responsabilité. En effet, même si la clientèle tend à devenir objective, la prestation demandée reste purement intellectuelle et individualisée.

Les aménagements du contrat de travail, en particulier la clause de conscience, montrent d'ailleurs que les professionnels libéraux s'investissent personnellement dans leurs relations avec les clients.

Il est donc normal que le régime de responsabilité des professionnels libéraux soit plus lourd que le régime commun en matière de société commerciale.

Dès lors, si la société d'exercice libéral a une vocation généraliste, elle ne peut renier son profond attachement aux professions du droit.

La spécificité des autres professions libérales n'a pas été prise en compte dans la rédaction de la loi, ce qui pourrait expliquer en partie que la loi du 31 décembre 1990 n'entende pas substituer les sociétés d'exercice libéral aux sociétés commerciales déjà autorisées. De plus, les différences entre ces dernières sociétés et les sociétés d'exercice libéral sont importantes et d'un point de vue pratique, il n'aurait pas été souhaitable qu'une substitution soit imposée.

Chapitre II - Les avantages d'une société de capitaux pour l'exercice d'une profession libérale

Comme l'a affirmé la Cour d'Appel de Paris dans un arrêt du 16 juillet 1994, les sociétés d'exercice libéral ne sont pas des sociétés commerciales par la forme. Cependant, cette nature libérale n'empêche pas la société de se comporter à maint égard comme une société de capitaux. Toutes les possibilités des sociétés de capitaux qui ne sont pas inféodées à la commercialité et qui ne contredisent pas les critères de l'activité libérale, peuvent être mises en oeuvre au sein des sociétés d'exercice libéral.

L'exercice des professions libérales s'est adapté aux changements de la société, à la demande croissante de prestations libérales, mais cette évolution se trouvait freinée par des structures d'exercice inadaptées, voire désuètes.

Pour remédier au manque évident d'organisations sociales véritablement adaptées aux exigences actuelles de concurrence et de gestion, un rapprochement avec le monde commercial est apparu souhaitable.

La création des sociétés d'exercice libéral a incontestablement renforcé ce phénomène, mais elle ne fait que suivre l'évolution du monde libéral.

Les professionnels libéraux n'exercent plus dans le même esprit qu'auparavant. Certes l'activité reste empreinte d'indépendance et les règles de déontologie perdurent, mais il serait fallacieux d'affirmer qu'aucun esprit de lucre n'existe au sein du monde libéral. L'histoire montre d'ailleurs que l'esprit sacerdotal n'a pas toujours été l'apanage des professionnels libéraux.

Par contre, l'esprit purement spéculatif demeure, il est vrai, l'apanage de la commercialité et reste étranger de la sphère libérale.

La loi du 31 décembre 1990 a pour objectif de mettre à la disposition des professionnels libéraux une structure d'exercice en adéquation avec l'évolution de la pratique des activités libérales et renforce l'émergence de la notion d'entreprise libérale. En outre, la loi du 31 décembre 1990 ne comportant pas de caractère obligatoire, elle présente l'avantage d'apporter au monde libéral une structure d'organisation sociale supplémentaire et de restreindre les disparités qui affectaient les modes d'exercice entre différentes professions.

Section I - L'évolution de la conception de profession libérale

Le mode d'exercice des professions libérales et des professions commerciales n'a cessé d'évoluer et de se rapprocher.

Les évolutions législatives démontrent d'ailleurs qu'il s'agit d'une profonde mutation que subit le monde libéral. Ainsi, est-il possible d'exercer sous forme de sociétés civiles, pour l'ensemble des professions libérales, ou sous forme de sociétés commerciales par la forme pour un nombre restreint d'entre elles. De plus, depuis la Loi du 13 juillet 1967, les professions libérales exercées sous forme sociétaire sont soumises aux procédures collectives.

Au-delà de cette évolution législative ponctuelle, le rapprochement qui s'opère entre les activités libérales et commerciales confirme l'émergence de la notion d'entreprise libérale.

Paragraphe I - Les sociétés commerciales autorisées avant l'avènement de la réforme de 1990

Certaines professions libérales ont pu, avant la réforme de 1990, être exercées par le biais de sociétés commerciales par la forme. Mais, les dispositions de la loi du 24 juillet 1966 durent être aménagées pour prendre en compte la spécificité de l'activité exercée.

Avec l'avènement des sociétés d'exercice libéral, la possibilité de faire appel à de telles sociétés aurait pu être remise en cause. Le législateur a, au contraire, pris la précaution de préciser que la loi du 31 décembre 1990 ne comportait pas de caractère obligatoire et que les sociétés d'exercice libéral n'avaient donc pas vocation à remplacer les structures préexistantes.

En conséquence, les sociétés commerciales par la forme préalablement autorisées demeurent valables. Les professionnels peuvent donc, le cas échéant, choisir entre constituer une société d'exercice libéral ou une société commerciale par la forme, spécifique à leur profession. Les sociétés commerciales autorisées pour l'exercice de profession réglementée ont reçu un accueil favorable de la part des professionnels qui y ont trouvé une possibilité de mieux gérer leur activité.

A - Les caractéristiques des sociétés commerciales par la forme autorisées pour l'exercice de professions réglementées

Le rapport de M. Luc Dejoie au nom de la commission des lois, faisait ressortir que des professions libérales réglementées pouvaient déjà être exercées sous forme de sociétés commerciales. Il s'agissait des professions d'expert-comptable, de commissaire aux comptes, d'architecte, de géomètre-expert, de directeur de laboratoires d'analyses de biologie médicale et de pharmacien, auxquelles allait s'ajouter la profession d'expert en propriété industrielle.

La possibilité d'exercer la profession de conseil juridique sous forme de sociétés commerciales accordée par la loi du 31 décembre 1971, a été abrogée par l'article 18 de la loi du 31 décembre 1990.

Les règles de constitution de ces sociétés commerciales différent beaucoup selon la profession concernée. Mais, elles sont toutes dérogatoires à la loi du 24 juillet 1966, et ce caractère dérogatoire vise à préserver l'indépendance des professionnels associés.

Des traits communs se retrouvent néanmoins dans toutes les sociétés.

Ainsi, la détention du capital de la société fait l'objet d'une réglementation stricte dont le but est de conférer la majorité des parts sociales et des droits de vote aux professionnels. Les postes de dirigeants sont réservés aux professionnels associés et ces derniers déterminent par agrément, l'entrée d'un nouvel associé au sein de la société. De plus, la forme nominative des actions est imposée pour les titres de sociétés par actions lorsque celles-ci sont autorisées.

Ces caractéristiques se retrouvent au sein des sociétés d'exercice libéral, mais le degré de complexité du statut de ces sociétés commerciales est moindre. Cet simplicité s'explique par leur vocation particulière, alors que la loi du 31 décembre 1990 vise à mettre en place une structure d'organisation sociale généraliste. Les sociétés commerciales autorisées pour l'exercice des professions juridiques constituent au même titre que les E.A.R.L., l'archétype des sociétés d'exercice libéral.

B - Une dérogation plébiscitée par la pratique

Les professionnels libéraux qui, avant la loi du 31 décembre 1990, pouvaient exercer au sein de sociétés commerciales par la forme, trouvaient dans ces sociétés les moyens de faire face aux problèmes structurels et concurrentiels qu'ils rencontraient dans l'exercice de leur activité.

En effet, quatre de ces six professions (les architectes, les géomètres-experts, les directeurs de laboratoires d'analyses de biologie médicale, et les pharmaciens) sont des professions qui demandent des moyens de financement importants.

Les sociétés commerciales leur ont permi, et leur permettent encore de bénéficier de possibilités qui sont inconnues dans les groupements de nature civile. Les sociétés spécifiques ont la particularité de s'intégrer dans la loi du 24 juillet 1966, et donc d'être soumises au mêmes droits et obligations que les sociétés dont l'activité n'est pas réglementée. Cette intégration au sein de la loi de 1966 est l'élément important qui les distingue des sociétés d'exercice libéral qui sont autonomes par rapport au droit commun des sociétés commerciales.

Un des autres avantages de ces sociétés tient à leur caractère simplement dérogatoire à la loi de 1966, ce qui les rend d'une approche simple puisqu'elles font référence à des notions connues. De plus, leur destination spécifique à l'exercice de chaque profession les rend plus souples d'utilisation que les sociétés d'exercice libéral. Les professionnels exerçant au sein de sociétés commerciales ne devraient donc pas transformer ces dernières en sociétés d'exercice libéral.

Ces dérogations permettant l'exercice d'activités civiles sous forme de sociétés commerciales traduisaient déjà l'évolution de la conception de l'activité libérale. Cette évolution vers un rapprochement avec les modes d'exercice de la sphère affairiste va se trouver confortée avec l'avènement des sociétés d'exercice libéral.

Paragraphe II - La notion d'entreprise libérale

L'exercice d'une profession libérale n'est plus - ou très rarement - ni l'expression d'une vocation désintéressée, ni un ministère comme l'écrivit M. J. Carbonnier. Le professionnel libéral est pris de nos jours dans une logique de marché où il doit développer son activité afin d'en retirer des gains. Il est contraint dans une large mesure d'utiliser des matériels de plus en plus perfectionnés.

Les préoccupations économiques ayant pris une part plus importante, l'expression d'entreprise libérale a vu le jour. Loin de ne constituer qu'un abus de langage, cette expression recouvre une réalité tangible.

La notion d'entreprise libérale transparaît au niveau de la patrimonialisation de la clientèle et également en raison du changement d'état d'esprit des professionnels qui ont désormais conscience d'exercer une activité économique.

A - La patrimonialisation de la clientèle

La clientèle est indispensable à l'exercice d'une profession libérale. Mais cette clientèle est de nature civile, ce qui entraîne des conséquences par rapport aux clientèles des commerçants. La principale d'entre elles est la nullité de principe des cessions de clientèles. La nature civile de la clientèle fait qu'elle est hors commerce.

Au contraire, les cessions de fonds de commerce sont licites et organisées par la loi. Les pharmaciens qui exploitent un fonds de commerce et ont la qualité de commerçant sont les seuls à pouvoir céder leur clientèle en toute légalité. Mais, le principe de l'illicéité de la cession de clientèle civile semble s'estomper. En effet, la jurisprudence de la Cour de Cassation qui évolue dans un sens de plus grand libéralisme et en tenant compte des évolutions économiques et idéologiques, pourrait accepter de traiter les clientèles civiles et commerciales de semblable façon.

Cette évolution tient à la patrimonialisation de la clientèle civile.

Le droit fiscal, plus enclin au pragmatisme que le droit civil, reconnaît le caractère patrimonial de la clientèle civile depuis de nombreuses années. Ainsi, l'article 720 du code général des impôts dispose qu'il y a lieu d'étendre la taxation des cessions de fonds de commerce à toute convention à titre onéreux ayant pour effet de permettre à une personne d'exercer une profession, une fonction ou un emploi occupé par un précèdent titulaire.

Pour l'administration fiscale, seule compte la réalité économique. La qualification de la convention par les parties n'interfère pas, ni d'ailleurs le principe selon lequel la clientèle civile est hors commerce. L'article 719 permet de taxer toutes les conventions à titre onéreux entre professionnels libéraux lorsque le successeur exerce la même profession que le titulaire et, en fait, reconnaît une cession de clientèle que les règles de droit civil ne permettent pas de qualifier ainsi.

Pour les juridictions civiles, la position traditionnelle était de refuser la cession de clientèle pour absence d'objet ou de reconnaître, dans les conventions que passaient les professionnels de présenter leur successeur à la clientèle, une obligation de faire ou de ne pas faire. Mais, ces dernières années, la jurisprudence civile a évolué vers une reconnaissance de la valeur patrimoniale de la clientèle civile.

La nullité des cessions des clientèles civiles repose sur l'absence d'objet, la clientèle étant attachée aux professionnels en considération de leur qualité. La confiance de la clientèle reposant sur un lien intuitu personae, il en résulte qu'elle ne peut être dissociée de la personne du professionnel.

En acceptant la pratique du droit de présentation, ces juridictions reconnaissent indirectement une valeur à la clientèle civile et donc un rapprochement de la clientèle libérale et commerciale.

De plus, dans des arrêts de ces dernières années la Cour de cassation a franchi une étape décisive dans l'assimilation des deux types de clientèles. La Cour va notamment, dans un arrêt du 5 mai 1994, pour admettre le droit à indemnisation d'héritiers d'un médecin radiologue qui exerçait dans un cabinet sous forme de société civile de moyens avec trois autres praticiens, se fonder sur l'attachement de la clientèle, non pas à la personne des professionnels, mais au cabinet. Dans ses attendus, la 1er Chambre civile ne fait pas allusion à une cession de clientèle mais, elle envisage néanmoins cette clientèle comme un bien, comme un élément du cabinet susceptible d'évaluation.

Cet arrêt reconnaît directement la valeur patrimoniale de la clientèle civile et ouvre la voie à la licéité de sa cession.

L'évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation suit la transformation de la société. L'urbanisation qu'a connu le 20e siècle et la mobilité des individus ont eu une influence importante sur l'exercice des professions libérales. Le choix d'un professionnel libéral se fait de plus en plus, autant en fonction de la spécificité de son équipement et de la proximité de son établissement, qu'en fonction de sa personne. D'un choix intuitu personae, on est passé à un choix intuitu materiae ou intuitu loci. En conséquence, la clientèle se rattache au lieu d'exécution de la profession et aux matériels professionnels. Elle va s'intégrer directement à la structure juridique qui permet l'exercice de la profession. Dans un arrêt du 3 mars 1993, la 1er chambre civile de la Cour de Cassation avait déjà déterminé la valeur des parts d'une société civile professionnelle en retenant la seule clientèle en l'absence de tout autre bien d'actif.

Dans ce nouveau courant jurisprudentiel, la Cour de Cassation constate la détente du lien qui existait entre praticien et client, elle entérine la patrimonialisation, voire la réification de la clientèle. Cette jurisprudence fondée sur le relâchement de l'intuitu personae qui unissait le professionnel au client semble devoir se développer.

De nos jours, du fait du développement des techniques, les professionnels libéraux sont amenés à manipuler, à utiliser des matériels perfectionnés. Ces machines sont devenues un support de clientèle, sinon plus important, au moins équivalent au professionnel lui-même. Ce glissement du rattachement de la personne du praticien aux éléments corporels est notable pour les professions dites techniques et encore plus important pour les professions médicales et paramédicales. Dans ces deux familles de professions, l'équipement et le matériel sont souvent le moyen le plus efficace d'augmenter la clientèle.

Le glissement est nettement moins sensible au sein des professions judiciaires et juridiques. Néanmoins, en leur sein, l'évolution est également tangible, mais elle emprunte d'autres voies. Cette famille de professions n'est pas, par essence, contrainte dans son exercice à l'utilisation de matériel important et spécifique, l'activité reposant entièrement et simplement sur les compétences du professionnel. Cependant, là non plus, ce n'est plus seulement ces simples capacités intellectuelles qui supportent la clientèle. La situation géographique du cabinet va jouer un rôle important dans la détermination du choix du client. Ce dernier ira dans une grande majorité d'hypothèses chez le professionnel le plus proche. En outre, l'organisation de l'exercice peut être un élément déterminant d'attachement de la clientèle. Les locaux, l'équipement informatique ou les collaborateurs du professionnel libéral sont quelquefois devenus les atouts majeurs qui contribuent à attacher la clientèle au cabinet.

Que ce soit du fait du matériel, de la situation géographique ou de l'organisation du cabinet, les éléments objectifs de rattachement de la clientèle prennent de plus en plus d'importance et deviennent même essentiels dans la concurrence que se livrent les professionnels.

Dès lors que la clientèle tend à reposer essentiellement sur des éléments objectifs, c'est non seulement qu'elle s'est patrimonialisée et donc qu'elle se rapproche de la clientèle commerciale, mais aussi que l'exercice des professions libérales est en profonde mutation.

B - La commercialisation de l'activité libérale en raison de l'exercice d'une activité économique

Les professionnels libéraux ont perdu l'esprit sacerdotal qui était le leur. En toute état de cause, les professions libérales sont incontestablement entrées dans le monde des affaires. Les professionnels libéraux entendent tirer des gains et des profits de leur activité. L'exercice de la profession est vécu comme une véritable entreprise, elle obéit aux mêmes règles. Plus exactement, la concurrence qui sévit depuis les quinze dernières années a obligé les professionnels à passer de l'exercice traditionnel en cabinet, à un exercice moderne, rationnel et plus dynamique.

Dans les faits, ces changements ont amené les professionnels à administrer leur cabinet comme des gestionnaires. La spécificité de l'activité libérale dénuée d'hégémonie lucrative n'est plus qu'illusion de nos jours.

Les professionnels sont astreints, s'ils veulent se développer ou plus simplement perdurer, à diriger leur activité. Comme dans le cadre d'une activité commerciale, ils sont obligés, d'un point de vue économique, de tenir une comptabilité et de faire des prévisions. L'exercice d'une profession libérale ne comprend plus seulement l'exercice de l'activité mais également, des impératifs de gestion distincts de l'activité professionnelle.

Cette prise en compte des exigences du marché, alliée à la patrimonialisation de la clientèle, a conduit les professionnels libéraux à rechercher une protection efficace en matière de bail.

Le relâchement du lien intuitu personae entre le client et le praticien a inévitablement conduit à faire prévaloir des biens objectifs comme éléments de rattachement de la clientèle et plus particulièrement les locaux d'exploitation de l'activité. Les professionnels se sont donc heurtés à la législation des baux professionnels qui se révèle insuffisamment protectrice face à la mutation du mode d'exercice des professions libérales.

Les professions libérales n'ayant pas de fonds de commerce, elles ne peuvent normalement bénéficier des dispositions du décret du 30 septembre 1953. Cependant, la Cour de Cassation qui, dans un premier temps, s'était refusée à une extension volontaire des parties au décret de 1953, est revenue sur cette jurisprudence et ne fait plus obstacle de nos jours à une telle convention. Désormais, il est loisible aux professionnels libéraux de se soumettre au statut des baux commerciaux. Cette extension du champ d'application du décret du 30 septembre 1953 sur les baux commerciaux au monde libéral doit toutefois revêtir certaines précautions. Notamment, les parties préféreront recopier les dispositions du décret auxquelles elles entendent se soumettre plutôt que de faire un simple visa du texte. Cette dernière solution présente d'évidents inconvénients. En cas de conflit, les juges peuvent se référer à l'ensemble de la jurisprudence et des textes relatifs au statut des baux commerciaux alors que la première les lie aux seules clauses du contrat.

En tout état de cause, les termes du contrat doivent faire apparaître de manière claire et non équivoque que les parties entendent se soumettre aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 et ce, malgré l'absence de fonds de commerce. En effet, de la part du donneur à bail, l'assujettissement au statut des baux commerciaux s'analyse avant tout comme la renonciation à un droit, et comme toute renonciation, elle doit relever d'une volonté expresse.

La soumission volontaire au statut des baux commerciaux permettra à tout professionnel libéral de se prévaloir des mêmes droits qu'un commerçant et de trouver la stabilité que ne peut offrir un bail professionnel. Le praticien pourra surtout demander une indemnité d'éviction en cas de non renouvellement de son bail.

L'évaluation de cette indemnité calculée sur la valeur du fonds pouvait poser des problèmes en matière civile. L'indemnité correspond habituellement à une somme voisine de la valeur du fonds de commerce et le fonds de commerce est essentiellement constitué par une clientèle. Or, s'agissant d'une activité libérale la jurisprudence ainsi que la législation refusent l'existence d'un tel fonds. En outre, son élément majeur, la clientèle, est hors commerce donc normalement insusceptible d'évaluation patrimoniale. Mais l'évaluation de l'indemnité d'éviction, depuis l'évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui reconnaît désormais une valeur patrimoniale à la clientèle civile, ne devrait plus poser de problèmes rédhibitoires.

La combinaison de ces deux phénomènes, d'une part la patrimonialisation de la clientèle et, d'autre part la soumission conventionnelle au décret du 30 septembre 1953, concourt à l'émergence d'un fonds, non pas de commerce, mais libéral.

Ce fonds libéral, bien qu'il ne soit pas pour l'instant entériné par la loi, s'affirme comme une entité incontestable. Le fonds libéral, constitué d'une clientèle civile néanmoins susceptible d'appréciation pécuniaire, d'éléments corporels, matériels nécessaires à l'exercice de la profession, et d'éléments incorporels, le bail, compose avec les moyens humains, collaborateurs du praticien, une véritable entreprise.

Cette entreprise n'est évidemment pas commerciale puisque son objet est la prestation d'un service dont la nature est de surcroît intellectuelle. Néanmoins, il s'agit d'une entreprise dont les caractéristiques sont voisines des entreprises commerciales habituelles.

Le terme d'entreprise est particulièrement fluctuant dans le temps et en fonction des branches du droit étudiées mais, dans son acception commerciale, il désigne une unité économique qui implique la mise en oeuvre de moyens humains et matériels de production ou distribution des richesses reposant sur une organisation préétablie.

Au regard de l'exercice d'une profession libérale, cette définition appelle des remarques.

L'exercice d'une profession libérale va inévitablement faire appel à des moyens humains. Dans des hypothèses croissantes, cette mise en oeuvre de potentiel humain sera distincte du ou des praticiens eux-mêmes et constituée par des collaborateurs et assistants.

Par contre, à la différence d'une entreprise commerciale, l'entreprise libérale ne met en oeuvre, ni moyen de production, ni moyen de distribution des richesses. Le matériel employé par certaines professions, notamment médicales, ne peut être assimilé à un moyen de production, il n'est que le média de la prestation du service.

En fait, l'entreprise libérale supplée, à la distribution de richesses de l'entreprise commerciale, la prestation d'un service intellectuel.

Mais surtout, la notion d'entreprise suppose un mode d'organisation préétablie. Jusqu'alors, le monde libéral ne disposait que de structures d'organisation civiles alors que, dans les faits, l'évolution rapprochait inexorablement les modes d'exercice de ceux de la sphère commerciale. Or, il est indéniable que c'est en matière commerciale que les structures d'organisation sociale les plus perfectionnées ont été mises en oeuvre. En instituant les sociétés d'exercice libéral, le législateur a entendu rétablir le déséquilibre qui s'était produit entre les conceptions pratiques d'organisation et les moyens juridiques d'encadrement de l'exercice.

A une entreprise libérale, qui sans se conformer en tous points à la définition de l'entreprise commerciale en est voisine, devaient correspondre des structures d'organisation sociale d'inspiration commerciale, mais adaptées au caractère des activités exercées.

Les sociétés d'exercice libéral, inspirées des sociétés de capitaux, se présentent par conséquent comme le moyen de réduire le schisme entre l'évolution de l'esprit dans lequel sont pratiquées les professions libérales et les structures juridiques d'organisation permettant leur exercice.

L'émergence de la notion d'entreprise libérale et l'institution des sociétés d'exercice libéral devraient accentuer le rapprochement du monde libéral du monde des affaires. En tant qu'entreprise, les structures d'exercice libéral seront désormais soumises à des obligations auxquels les cabinets étaient peu sensibles.

Il est désormais notable que les professions libérales sont de plus en plus soumises au droit de la concurrence. Le Conseil de la Concurrence avait d'ailleurs été consulté avant la rédaction de la loi du 31 décembre 1990. L'application du droit de la concurrence à la sphère libérale devrait du reste croître encore, corrélativement à l'augmentation du marché des prestations libérales et de la compétition qu'elle va engendrer.

Un arrêt de la Cour de Cassation du 8 janvier 1988 est sur ce point significatif, en ce qu'il rappelle l'application des règles de concurrence déloyales en matière libérale.

Cette soumission aux règles de concurrence est un autre indice de l'évolution de la conception de profession libérale qui est passée du désintéressement, de l'intention libérale à la compétitivité et à l'esprit de concurrence. Cette évolution ne semble pas devoir s'arrêter dans un avenir proche.

En effet, le monde libéral va subir l'influence de l'Union Européenne ; l'harmonisation des conditions d'exercice devrait être sensible puisque le droit européen ne connaît pas la dichotomie française entre droit civil et droit commercial. Ainsi, les règles du Traité de Rome concernant notamment la libre concurrence et le droit d'établissement sont applicables dès qu'un caractère économique est reconnu à une activité.

Comme l'a affirmé Mme Nicole Décoopman, le monde libéral est en passe de se fondre dans "le vaste ensemble du droit des affaires". Il est certain, en toute hypothèse, que les conditions d'exercice des activités libérales ont évolué vers une acception économique et que l'entreprise libérale est une réalité qui n'est plus contestable.

Le changement de l'exercice devait donc s'accompagner d'une évolution juridique, évolution qui devait permettre de régir et de rationaliser l'exercice de cette entreprise libérale.

Section II - Une égalité de traitement de l'ensemble des professions libérales issue de la loi No 90-1258 du 31 décembre 1990

La réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1990 va aboutir à une uniformisation des moyens juridiques mis à la disposition des praticiens pour l'exercice de leur profession.

L'apport de la loi, la possibilité de créer des sociétés de capitaux, ne remet pas en question les droits des professionnels à continuer d'exercer au sein des structures préexistantes. Toutes les structures d'organisation qui existaient avant l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1990 restent licites et les professionnels peuvent toujours choisir d'y recourir.

M. Luc Dejoie, dans le premier rapport remis au Sénat, résumait ainsi les objectifs de la future loi: "sans porter atteinte à l'existence des possibilités retenues pour certaines professions, le projet de loi tente de définir un mode de société de type commercial auquel pourraient recourir toutes les professions libérales réglementées".

Cet objet sera en partie dépassé puisque la loi du 31 décembre 1990 va en plus de l'institution des sociétés d'exercice libéral opérer de subtiles modifications sur certaines des sociétés civiles d'exercice qui lui sont antérieures et mettre en place un nouveau type de société en participation.

La loi du 31 décembre 1990 concourt à mettre en place un système juridique qui a une vocation généraliste à s'appliquer aux professions libérales et va rectifier aussi certaines imperfections des structures civiles préexistantes.

Paragraphe I - La stratification du droit applicable au secteur libéral

Les professionnels libéraux ont désormais à leur disposition une très grande variété de structures qui leur permettent d'exercer leur activité. Ces structures d'organisation de la profession peuvent se ranger dans trois grands groupes selon leur rattachement aux diverses branches du droit.

A - Le respect des droits acquis

La loi du 31 décembre 1990 comporte la particularité de n'abroger aucune des dispositions qui lui sont précédentes, excepté les articles de la loi du 31 décembre 1971 qui maintenaient pour les conseils juridiques la faculté de constituer des sociétés commerciales.

En conséquence, les groupements et sociétés civiles qui existaient peuvent toujours être constitués pour l'exercice des activités libérales.

Ainsi, l'ensemble des professionnels peut faire appel à des groupements civils qui peuvent être classés en trois groupes distincts comme l'a fait ressortir le rapport de M. Luc Dejoie.

Tout d'abord, les associations de la loi du 1er juillet 1901 et les sociétés civiles professionnelles. Ces deux structures ont pour objet l'exercice de la profession de leurs membres et disposent de la personnalité morale. Elles s'opposent aux structures dont l'objet est simplement de permettre la rationalisation de l'exercice en groupe.

Ces groupements qui n'ont pas pour objet d'exercer la profession sont au nombre de deux: les sociétés civiles de moyenset les groupements d'intérêt économique ou les groupements européens d'intérêt économique.

Les sociétés civiles de moyens n'exercent pas la profession mais ont seulement pour objet la fourniture de moyens matériels et la prestation de services. Elles ont pour but de faciliter l'activité de chacun de leurs membres. En conséquence, comme elles n'interfèrent pas dans l'exercice, la situation juridique professionnelle des membres ne subit aucune modification. Les sociétés civiles de moyens sont donc des structures très souples qui ont l'avantage de ne pas être soumises à l'autorité des organisations professionnelles et de pouvoir être constituées librement. Les groupements d'intérêt économique présentent les mêmes caractéristiques que les sociétés civiles de moyens mais ils s'adressent à des entreprises plus importantes que ces dernières et peuvent se révéler d'une moindre souplesse.

Une différence essentielle sépare cependant ces deux structures. Les membres d'un groupement économique sont en principe responsables indéfiniment et solidairement des dettes sociales, alors qu'au sein d'une société civile de moyens n'existe qu'une responsabilité indéfinie et conjointe avec la société. En outre, les sociétés civiles de moyens ne peuvent comprendre que des associés personnes physiques et les groupements économiques que des personnes morales.

A ces deux groupements de moyens que sont la société civile de moyens et le groupement d'intérêt économique viennent s'ajouter pour les médecins la société coopérative autorisée par la loi du 2 novembre 1965. La société coopérative de médecins doit répondre aux principes de toutes les sociétés coopératives. Elle se situe à la jonction du groupement d'exercice et de moyens.

A cette première catégorie de groupements civils s'ajoutent les sociétés commerciales par la forme qui ne sont autorisées que pour certaines professions. Ces sociétés, même si elles ont un objet civil, sont incontestablement commerciales par la forme et elles exercent la profession de leurs membres. Elles se comportent donc comme des sociétés civiles professionnelles puisque ce sont des structures d'exercice, mais elles répondent aux mêmes droits et obligations que les traditionnelles sociétés commerciales par la forme.

Une inégalité de traitement existait donc entre les professions libérales et la loi du 31 décembre 1990 avait notamment pour objectif de remédier à cette disparité en permettant l'exercice sous forme de société commerciale à l'ensemble des professions libérales. Mais en créant les sociétés d'exercice libéral, la loi du 31 décembre 1990 a mis en place un régime général qui s'applique à l'ensemble des professions et qui, de surcroît, ne répond plus d'une branche distincte du droit.

B - L'élargissement des formes sociales

Avec la réforme de 1990 est apparue une nouvelle forme de groupements dont peuvent user les professionnels libéraux. Les sociétés d'exercice libéral se distinguent des groupements préexistants sur deux points.

En effet, la société d'exercice libéral réunit au sein d'une même structure les avantages d'un groupement d'exercice et d'un groupement de moyens. Elle permet d'organiser de façon moderne les rapports des associés entre eux et avec les tiers et de faciliter et restructurer l'exercice de la profession. Au niveau de la gestion de l'exercice de l'activité, la société d'exercice libéral est comparable à une société commerciale et notamment le régime de sa responsabilité sera limitée par la forme adoptée.

En matière d'exercice de la profession, la société devient transparente. Elle n'a pas la capacité d'exercice même si elle a la qualité de membre de la profession. Cette nature ambigu de la société a des conséquences sur sa responsabilité du fait de son activité. En tant que professionnel incapable, la société est soumise à l'autorité des organismes professionnels et aux autorités de tutelles. Elle doit se soumettre en outre, comme tout professionnel, aux obligations d'assurance et elle est conjointement et indéfiniment responsable avec ses membres des actes dommageables résultant de l'exercice de la profession.

Le second critère distinctif de la société d'exercice libéral tient à sa nature juridique. Les structures qui jusqu'alors permettaient l'exercice de l'activité étaient soit civiles, soit commerciales. Les sociétés d'exercice libéral ne répondent pas d'une catégorie préexistante. Leur nature complexe, la cohabitation de régimes de natures civile et commerciale en leur sein empêche un rattachement à une catégorie de sociétés déjà existantes et il serait donc préférable de les considérer comme une institution sui generis.

Les professionnels disposent donc aujourd'hui de trois grands types de structures permettant l'exercice d'une activité: les groupements civils d'exercice ou de moyens, les sociétés commerciales par la forme et les sociétés d'exercice libéral qui regroupent les caractéristiques des deux catégories précédentes.

La loi du 31 décembre 1990 institue un droit transversal. En somme, elle apparaît comme emblématique du rapprochement général du droit commercial et du droit civil.

Paragraphe II - Une remise à jour de certaines structures

La loi du 31 décembre 1990 comporte des dispositions annexes à la création des sociétés d'exercice libéral.

Elle n'abroge aucune forme ancienne et elle précise même dans son article 17 que ses "dispositions ne font pas obstacle à l'exercice des professions libérales selon des modalités prévues par des textes particuliers à chacune d'elles". Néanmoins les sociétés de conseils juridiques à forme commerciale sont condamnées à disparaître par l'article 18 de la loi. Cette obligation de transformation en société d'exercice libéral est due à la fusion des professions d'avocat et de conseil juridique.

L'évolution importante que représente la création des sociétés d'exercice libéral va avoir des conséquences sur certaines formes sociétaires préexistantes. La loi veille à ce que la nouvelle institution ne rende trop vite obsolète d'anciennes structures d'exercice.

Dans son titre III, elle réforme donc la loi du 29 novembre 1966, relative aux sociétés civiles professionnelles et dans son titre II, elle met en place une société d'exercice en participation dont l'objectif est obscur.

A - L'incidence de la loi No 90-1258 du 31 décembre 1990 sur les S.C.P.

L'instauration des sociétés d'exercice libéral va conduire, par contrecoup, à revoir le statut des sociétés civiles professionnelles.

Les sociétés d'exercice libéral qui ont été mises en place dans un but d'efficacité optimale pour l'exercice de la profession pouvaient supplanter les sociétés civiles professionnelles. Il est donc apparu opportun au législateur de prendre des mesures afin de réduire les écarts qui pouvaient résulter de la réforme.

Les modifications apportées ne sont pas d'une ampleur excessive mais relèvent de la volonté de mettre les sociétés civiles professionnelles en conformité avec les évolutions que le droit des sociétés a connu. M. Y. Guyon voit la preuve, dans le caractère subséquent de ces révisions que les sociétés civiles professionnelles étaient encore bien adaptées aux besoins des professionnels libéraux. Il ne s'agit donc pas d'une réforme en profondeur qui aurait changé la nature de la société mais de simples révisions techniques.

Le but recherché était de faire disparaître les inégalités qui touchaient les sociétés civiles professionnelles par rapport aux autres sociétés.

Ainsi l'immatriculation des sociétés civiles professionnelles ne pourra intervenir qu'après l'obtention de l'agrément auprès de l'autorité compétente ou l'inscription au tableau de l'ordre professionnel. Cette disposition évite que des sociétés civiles professionnelles acquièrent la personnalité morale avant d'être en mesure d'exercer la profession. L'article 30 de la loi abroge des dispositions de la loi du 29 novembre 1966 qui faisaient obstacle à l'application de règles nouvelles de droit des sociétés, notamment en matière de nullité et en ce qui concerne la poursuite de la société lorsqu'elle n'est plus constituée que d'une seule personne ou lorsqu'elle se transforme. L'article 31, dans un même ordre d'idée, élargit le champ d'application de l'article 151 octies du code général des impôts aux plus-values réalisées en cas de fusion de sociétés civiles professionnelles.

L'article 28, quant à lui, prévoit les conditions de forme des cessions de parts sociales en cas de refus d'agrément donné par la société.

L'amélioration la plus importante de la loi du 29 novembre 1966 tient dans les articles 27 et 29 de la loi du 31 décembre 1990. Ces deux articles étendent aux sociétés civiles professionnelles les bénéfices de l'article 11. Ainsi, les associés d'une société civile professionnelle d'office public ou ministériel, en cas de mésentente ou de dissolution de celle-ci, pourront solliciter leur nomination à des offices créés à cet effet et à la même résidence. Ces dispositions doivent permettre une réinstallation plus aisée des associés à titre individuel. Elles permettront aux officiers ministériels de retrouver une indépendance que certains avaient perdu dans la constitution de sociétés civiles professionnelles. En effet, en cas de mésentente, les sociétés perduraient, faute pour les associés de pouvoir se réinstaller.

Le législateur aurait peut-être dû pousser plus avant la réforme en permettant notamment comme en matière de société d'exercice libéral, la validité des clauses compromissoires entre professionnels, ce qui aurait répondu à l'attente de nombreux professionnels.. Il aurait également été concevable d'étendre les dispositions de l'article 14 de la loi de 1990, sur les comptes courants d'associés, aux sociétés civiles professionnelles.

Mais les révisions apportées par la loi du 31 décembre 1990 adaptent tout de même les sociétés civiles professionnelles aux nouvelles exigences de l'exercice en groupe.

B - Le cas particulier de la S.E.P.E.L.

Le titre II de la loi du 31 décembre 1990 institue la société en participation d'exercice libéral. Le champ d'application de ce titre II est semblable à celui du titre Ier et les professionnels libéraux à qui s'adressent les sociétés d'exercice libéral, peuvent constituer des sociétés en participation d'exercice libéral.

Quant à son régime, la société d'exercice libéral est soumise au droit commun des sociétés en participation (c'est-à-dire les articles 1871 à 1872-1 du code civil), pour tout ce que la loi du 31 décembre 1990 ne prévoit pas expressément.

Les sociétés en participation d'exercice libéral ne peuvent être constituées qu'entre personnes physiques. L'article 22 alinéa 2 précise néanmoins que les décrets peuvent prévoir des sociétés interprofessionnelles, mais en tout état de cause si le décret refuse la constitution de sociétés d'exercice libéral, il en ira de même pour les sociétés en participation. La présence d'associés extérieurs à la profession est par contre totalement prohibée.

Trois dérogations importantes différencient la société en participation d'exercice libéral du droit commun. D'une part, la dénomination de la société est soumise à publicité, d'autre part, le régime de responsabilité est alourdi. Enfin, le départ d'un associé donne droit à une prestation compensatrice.

L'article 22 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1990 prévoit que la société sera soumise à une publicité, ce qui prend le contre-pied des principes des sociétés en participation qui restent normalement discrètes, voire occultes. Cette publicité ne pourra pas être constituée par une inscription au registre du commerce et des sociétés puisque cette dernière lui conférerait la personnalité morale. Cependant, elle ne saurait se limiter à la seule information des organismes professionnels, mais devra au contraire avertir la clientèle pour éviter tout conflit d'intérêts.

Le régime de responsabilité des associés de la société en participation qui est défini par l'article 23 alinéa 1er de la loi du 31 décembre 1990, déroge au droit commun défini par l'article 1872-1 du code civil. En effet, les associés sont tenus solidairement et indéfiniment à l'égard des tiers. Ce renforcement de la responsabilité a pour but d'augmenter la protection des tiers et s'analyse comme le corollaire de l'obligation de publicité de l'article 22 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1990.

Enfin, selon l'article 23 alinéa 3, les statuts de la société peuvent prévoir le versement d'une prestation compensatrice.

Cette possibilité de percevoir une prestation compensatrice ne peut cependant couvrir tous les cas de départ d'un associé de la société, mais seulement les départs volontaires autres que les cessions de parts. Il faut distinguer cette prestation d'un éventuel remboursement d'apports. Dès lors, un associé qui se retire volontairement d'une société en participation constituée avec apports pourra, si les statuts le prévoient, cumuler le remboursement de ceux-ci et le versement de la prestation compensatrice. Au contraire, en cas de cession de parts ou d'exclusion, elle ne serait pas due.

Comme au sein des sociétés d'exercice libéral, l'article 23 alinéa 2 prévoit la révocation de l'associé. Cette révocation est prévue dans les statuts ou à défaut de définition des conditions de son application, elle résulte d'une décision prise à l'unanimité. Par rapport au mécanisme mis en oeuvre au sein des sociétés d'exercice libéral, l'exclusion de l'associé des sociétés en participation paraît plus brutale et de nature à porter atteinte aux droits de ce dernier.

La finalité de la création de la société en participation d'exercice libéral telle qu'elle résulte de la rédaction de la loi du 31 octobre 1990 reste obscure. Cette structure ne présente pas de véritable intérêt par rapport aux groupements préexistants. Les sociétés en participation existaient déjà dans le monde libéral où leur prohibition était cantonnée aux seuls cas de partages d'honoraires illicites ou si elles aboutissaient à des conflits d'intérêts.

Les obligations de publicité et le renforcement de la responsabilité des membres ne plaident pas pour l'extension de la nouvelle structure. Par ailleurs, l'obligation d'être constituée uniquement de personnes physiques limite son emploi.

L'origine de la création laisse penser que la société en participation serait la première phase de la reconnaissance du partnership. En effet, les articles 22 et 23 résultent d'un amendement présenté par M. J. Toubon qui visait à mettre en place une formule d'exercice, en rupture totale avec le droit français, copiée sur le droit anglo-saxon. La création de la convention de partenaire n'a pas vu le jour notamment pour des raisons d'ordre fiscal et a été remplacée par l'actuelle société en participation.

Le caractère ostensible de la société en participation d'exercice libéral favorisera peut-être l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, ce qui pourra comporter des avantages par rapport aux bénéfices non commerciaux.

La société en participation d'exercice libéral, en sa forme actuelle, ne semble pas promise à un avenir prometteur, les avantages qu'elle apporte dans l'exercice étant trop restreints.

Quel que soit le développement des sociétés en participation d'exercice libéral, les sociétés occultes ne devront pas adopter cette nouvelle forme puisque l'article 17 de la loi du 31 décembre 1990 fait obstacle à toute abrogation des structures préexistantes et qu'il ne se cantonne pas au seul titre Ier, mais bien à l'ensemble de la loi.


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