Droit Pénal: Le viol entre époux

par Jérôme Rabenou


Introduction

Certaines formes de viol ont longtemps soulevé des difficultés juridiques: le viol de la prostituée, le viol entre époux, n'ont pas toujours été considéré de la même façon: si les conditions de réalisation de l'élément matériel ne sont évidemment pas les mêmes, l'élément moral quand à lui, est proche: il a été longtemps supposé que le consentement était implicite, de par la nature du cadre des relations sexuelles. Il n'en est rien.

Le viol entre époux est aujourd'hui reconnu, même si il est parfois mal aisé de l'établir. Afin de mieux comprendre pourquoi, nous allons préciser l'évolution légale, morale et jurisprudentielle - avant d'expliquer les difficultés qui subsistent encore aujourd'hui.


I - HISTORIQUE


C'est une loi du 28 avril 1832 qui a établi le viol comme une infraction distincte sans pour autant préciser, sans définir ce qu'était le "crime de viol".

L'application de l'article 332 de l'ancien Code pénal, lorsque des affaires de viol entre époux étaient jugées par les tribunaux, conduisaient à ne pas retenir la qualification de viol, mais plutôt de violences volontaires. Ainsi d'une décision du Tribunal d'Alger [28 avril 1887; S.1889,2,114], mais également d'arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation [21 novembre 1839; S.1839,1,817 et 19 mars 1910; Bul.Crim.153], selon lesquels "le mari ne saurait être coupable de viol lorsqu'il se borne à contraindre son épouse à des rapport sexuels normaux mais devient coupable du fait que ces rapports sexuels ont été entourés de circonstances les rendant exceptionnels" (il fallait entendre alors: de violences laissant des traces, ou la présence d'un tiers).

La doctrine allait d'ailleurs dans le même sens: dans un ouvrage juridique [Droit Pénal Spécial, Ed.Sirey, 1972, Goyet, M.Rousselet, Pierre Arpaillange] destiné essentiellement aux étudiants en droit, on pouvait ainsi lire en 1972 que la violence, essence même du viol, doit "être légitime". Un mari qui userait de violences pour avoir des relations normales avec sa femme ne commettrait pas un viol: il se rendrait seulement coupable de violences volontaires".

Les idées ont évoluées, et la législation avec elle, réformant la répression du viol et de certains attentats à la pudeur, par la Loi No 80-1041 du 23 décembre 1980 [JO du 24 décembre 1980, page 3028] qui a notamment modifié l'article 332 de l'Ancien Code Pénal [alinéa 1: "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence contrainte ou surprise, constitue un viol"], ce qui a profondément élargi l'élément matériel, mais très peu l'élément moral a priori, le viol dans le mariage continuant à être considéré comme légitimes, comme en témoignent les travaux préparatoires de ladite loi [J.O. débats au Sénat, 28 juin 1978, p.1843].

Cette loi est le point de départ d'un nouveau courant doctrinal, avec notamment Puech et de Mayer qui ont vu dans ce texte la possibilité de poursuivre pour viol alors même que l'auteur et la victime sont mariés.

La Jurisprudence a suivi cette tendance, mais difficilement:

Tout d'abord avec un arrêt de la Cour de Cassation du 5 septembre 1990, qui a accordé la qualification de viol (aggravé) car l'article 332 "n'exclut pas de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage lorqu'ils sont imposés dans les circonstances prévues par ce texte".

Mais cette jurisprudence n'est pas franche, et elle a été très critiquée [note de Marie-Laure Rassat, JCP édition Générale No 6, 1991,II,21628] notamment parce que la chambre d'accusation n'avait pas relevé une erreur de double qualification, mais aussi parce qu'elle laisse subsister un doute sur la nature des relations "normales" entre époux.

Elle a tout de même le mérite de poser le postulat que les relations sexuelles dans le mariage sont supposées acceptées, mais que cette acceptation, ce consentement est une présomption simple, et que l'on peut en rapporter la preuve contraire.

Une nouvelle jurisprudence est venue conforter la première, le 11 juin 1992, émanant également de la Chambre criminelle et abondamment commentée [Recueil Dalloz Sirey, 1993,10,117 et JCP ed.générale, 1993,II,22043].
Elle est venue la conforter dans l'idée que le viol entre époux était possible, tout comme il était possible de rapporter une preuve contraire à la présomption de consentement aux actes sexuels dans le cadre du mariage.

La réforme du Code Pénal, entrée en vigueur le 1er mars 1994, n'a que peu modifié l'incrimination de viol, ajoutant dans un article 222-23 la menace à la violence, la contrainte et la surprise.

La récente jurisprudence de la Chambre criminelle [Arrêt du 26 septembre 1994] a conforté la jurisprudence antérieure: le viol entre époux est possible, il n'existe pas un "devoir conjugal" que l'on puisse imposer, mais il faut rapporter une preuve contraire à la présomption de consentement qui naît du mariage [Note Véron, Droit Pénal, janvier 1995, note 6].

II - DEBAT

L'évolution de la législation applicable et de la jurisprudence du "viol entre époux", et on devrait d'ailleurs plutôt parler de "viol par époux" ou "sur époux", a permis de dégager que c'est l'élément moral qui pose une difficulté, ainsi que le fait d'en rapporter la preuve;

Le consentement:

Le viol existe donc si l'acte n'est pas consenti. Il faut donc prouver que le consentement est absent, dans un cadre ou il est présumé présent. Et une partie de la doctrine va plus loin, notamment Marie-Laure Rassat qui considère que le mariage, c'est le consentement légal aux relations sexuelles, et que dès lors que l'on accepte de se marier, on accepte des relations sexuelles "normales", sans quoi on se sépare, on quitte son partenaire...

Cette analyse n'exclut pas alors que l'on puisse néanmoins conidérer qu'il y ait viol dans le cas de la surprise cumulée à la violence: dans l'hypothèse ou des relations dites normales ne le resteraient pas, et que la femme soit soudainement confrontée à une situation anormale qu'elle ne souhaite pas.

Et il conviendra aussi de distinguer ce que la doctrine comme les tribunaux appellent des relations sexuelles normales: certaines peuvent être normalement violentes, la violence faisant partie de la relation: il sera alors difficile de distinguer le refus apparent de consentement du refus réèl de l'acte.

La preuve du consentement:

Dans toutes les hypothèses, l'époux ou l'épouse qui se plaint de viol par son concubin doit apporter une preuve contraire à la présomption de consentement. Et là, la doctrine est unanime pour considérer qu'il sera difficile de rapporter ladite preuve, et on imagine mal sauf cas exceptionnels, que la femme puisse y parvenir facilement.

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©1997 - Jérôme Rabenou