SECTION 1 : LA COMPATIBILITE DU DROIT DE LA LANGUE FRANCAISE AVEC DES NORMES SUPERIEURES D'ORDRE INTERNATIONAL
La défense et la promotion de sa langue nationale, qui sont des aspects fondamentaux de l'identité culturelle nationale, constituent un objectif digne d'être protégé par un Etat. Cependant, un Etat de droit tel que la France est liée par des accords, traités internationaux qui limitent son pouvoir normatif notamment dans le domaine linguistique. C'est pourquoi, il faut mettre à l'oeuvre des textes du droit international classique et des textes du droit communautaire, la légitimité du corps de règles voué à la défense de la langue française et notamment de la nouvelle loi relative à l'emploi de la langue française.
Devant la dégradation de la situation de la langue française et de son intégrité, l'Etat a cherché par la révision constitutionnelle de 1992 et par la loi de 1994 à renforcer les principes existant qui visent à défendre la langue française conduisant en cela à un certain protectionnisme linguistique national. Ceci ne sera pas sans poser le problème de la compatibilité d'une telle attitude avec la réglementation communautaire et internationale. Cette question sera étudiée successivement au regard du droit international classique et du droit communautaire. En effet, une différence de nature existe entre ces deux sources du droit international.
Le droit communautaire a cette particularité qu'il se substitue à la règle du droit interne, à l'inverse du droit international classique qui ne fait que la contraindre.
I - LA COMPATIBILITE DU DROIT DE LA LANGUE FRANCAISE AVEC LES NORMES SUPERIEURES DU DROIT INTERNATIONAL CLASSIQUE
En imposant l'emploi obligatoire de la langue française et en prohibant le recours à certains termes étrangers, la politique linguistique menée en France est-elle compatible avec la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et le Pacte International relatif aux droits civils et politiques ? Sans prétendre à l'exhaustivité, nous signalerons les textes les plus fréquemment invoqués lorsque la question de la compatibilité est posée en matière internationale.
A - LA CONVENTION EUROPEENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES
La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme signée à Rome le 4/11/1950 et ratifiée par la loi du 31/12/1973 prime sur toute règle interne même postérieure, et à un effet direct en France permettant à tout citoyen de l'invoquer.
La question de la compatibilité se pose entre le droit de la langue française et l'article 14 de la Convention. En effet, l'article 14 dispose que " la jouissance des droits reconnue dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée, notamment, ...sur la langue... ", tandis que l'article 10 prévoit des circonstances où il est possible pour un Etat de limiter la liberté d'expression dans la mesure où cette limite est strictement nécessaire dans une société démocratique.[196]
En France, l'Etat a imposé l'emploi obligatoire de la langue française dans un certain nombre de circonstances de la vie courante et professionnelle et à subordonner l'acquisition de certains droits à la connaissance de la langue française. Il faut donc se demander si le but poursuivi par le droit de la langue française à savoir " la défense de la personnalité et du patrimoine de la France " est compté parmi les buts admis par la convention pour limiter la liberté d'expression. Or, il apparaît au regard de l'article 10 que le but poursuivi par le droit de la langue française n'est pas compté parmi les buts admis pour limiter la liberté d'expression. Il faudrait également que le droit de la langue française soit " strictement nécessaire dans une société démocratique ". Sur ce point, la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme exige que soit démontrée la proportionnalité de la réglementation en cause avec le but poursuivi. Là encore, il est permis de douter qu'il soit nécessaire, pour protéger le patrimoine culturel français et assurer le rayonnement de notre langue de promulguer un tel texte. Il peut exister d'autres moyens que l'interdiction pure et simple d'un mode d'expression, solution apparaissant comme très excessive.
Pour toutes ces raisons, on peut penser que les restrictions à la liberté d'expression introduites par le droit de la langue française vont au-delà des limitations permises par la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
B - LE PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
Le deuxième texte souvent évoqué, est l'article 27 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, adopté par l'Assemblée Générale des Nations Unis, ouvert à la signature le 19/12/1966, et publié par décret du 29/1/1981, qui dispose : " Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir en commun, avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. "[197]. Par conséquent, les personnes appartenant à une minorité ne peuvent être privées du droit d'avoir leur propre vie culturelle, d'employer leur propre langue, d'ouvrir des écoles et de recevoir l'enseignement dans la langue de leur choix.
Le dispositif linguistique de défense de la langue française ne semble pas incompatible avec cet article adopté par l'Assemblée Générale des Nations Unis. Certes, le droit de la langue française impose l'emploi obligatoire de la langue française dans un certain nombre de circonstances. Mais, il ne porte pas atteinte au droit des minorités[198]composant la communauté nationale, d'employer leurs idiomes et de défendre leurs cultures dans la mesure où il ne remet pas en cause l'unité linguistique de la France et ne porte pas atteinte au bon fonctionnement des services publics. Le principe exprimé par le droit de la langue française n'est pas la prohibition pure et simple d'une langue étrangère ou régionale, mais l'obligation d'utiliser en priorité la langue française. En fait, les domaines dans lesquels l'Etat a imposé l'emploi de la langue française sont assez restreints, préservant ainsi un espace de liberté dans lequel les citoyens peuvent s'exprimer librement. Enfin, il faut noter que l'Etat français mène depuis une trentaine d'années une politique d'ouverture aux langues et cultures régionales en organisant leur enseignement au sein de l'éducation nationale. D'autre part, le problème de l'incompatibilité du droit de la langue française avec l'article 27 du Pacte, même s'il existe, ne se posera pas tant que l'Etat français n'aura pas levé ses réserves quant à l'application de cet article à la France. " Le gouvernement français déclare, compte tenu de l'article 2 de la constitution de la République française, que l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République ". [199]
Reste à mettre le droit de la langue française à l'épreuve du droit de l'Union Européenne. En vertu du principe de subsidiarité, la question de la compatibilité de la politique linguistique de la France avec le droit communautaire ne devrait pas se poser. En effet, a priori, les législations linguistiques relèvent de la compétence de chaque Etat membre. Cependant, nous verrons, que ce principe n'est pas absolu et n'écarte pas totalement la compétence communautaire en matière linguistique.
II - LA COMPATIBILITE DU DROIT DE LA LANGUE FRANCAISE AVEC LES NORMES EUROPEENNES
La défense et la promotion de la langue nationale relève donc par principe de la compétence exclusive des Etats membres de la Communauté Européenne. Le développement du droit communautaire n'est cependant pas sans influence sur le droit interne de la langue française. En effet, les institutions communautaires notamment la Cour de Justice des Communautés Européennes ont été amenées à se prononcer à plusieurs reprises sur des questions relatives aux législations linguistiques pour apprécier leur compatibilité avec les libertés fondamentales qui sont au nombre de quatre à savoir la liberté de circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et la liberté de prestation des services sur lesquelles repose la Communauté Européenne et à partir desquelles cette dernière a étendu son domaine de compétence.
Une législation linguistique telle que la France notamment lorsqu'elle restreint le droit d'employer une langue étrangère, peut conduire à des restrictions à la liberté de circulation des marchandises et des personnes. C'est donc au regard de ces deux libertés communautaires, que nous traiterons de la question de la compatibilité du droit de la langue française avec les principes communautaires.[200]
A - LE DROIT DE LA LANGUE FRANCAISE ET LA LIBERTE DE CIRCULATION DES MARCHANDISES
Une réglementation nationale, indistinctement applicable aux produits nationaux et importés, prescrivant que toute indication figurant sur un produit doit se faire dans la langue nationale est susceptible de créer des entraves au commerce intra-communautaire et constituée ainsi une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation, prohibée par l'article 30 du traité de Rome.[201] Une telle obligation implique que les entreprises exportant au sein de la CEE apposent un étiquetage spéciale selon le pays de commercialisation ou encore traduisent les documents qui accompagnent les produits.
La question qui se pose est si et sous quelles conditions, la défense et la promotion de la langue nationale pourraient justifier des atteintes ou des restrictions à la libre circulation des marchandises. Cette obligation peut, dans certains cas, être justifiée par des raisons de protection du consommateur lorsqu'il s'agit d'informer celui-ci dans sa propre langue, sur la nature, la composition, l'utilisation, et les conditions de garantie d'un produit.[202] C'est le cas de certaines dispositions du droit de langue française qui prescrivent l'emploi obligatoire de la langue française pour la rédaction des documents accompagnant les marchandises ou l'adjonction d'une traduction en langue française. Il est, en effet, légitime que le législateur assure la protection du consommateur, afin qu'il puisse acheter et utiliser un produit, ou bénéficier d'un service, en parfaite connaissance de cause.[203] Cependant, l'obligation d'utiliser la langue nationale ne saurait être considérée comme justifiée par des raisons de protection du consommateur lorsqu'elle est exigée à des stades antérieurs à celui de la vente au détail, ces stades ne concernant pas le consommateur final, mais plutôt des intermédiaires commerciaux qui maîtrisent les langues étrangères et qui peuvent, en tout état de cause, exiger de leurs fournisseurs étrangers, dans le cadre de leurs relations contractuelles, que les produits soient étiquetés et, le cas échéant, accompagnés de tous les documents nécessaires dans la langue nationale. Ce n'est donc qu'au stade de la commercialisation que doit être assuré le respect de l'exigence de la rédaction en langue française des documents d'accompagnement d'une marchandise importée.[204] Une telle exigence devrait cependant être qualifiée d'excessive par rapport au but recherché à savoir la protection des consommateurs notamment si elle était imposée :
pour des expressions largement tombées dans le langage public et, dés lors, compréhensibles pour la plus grande partie des consommateurs.
pour des expressions " faisant corps " avec la marchandise et traduites en langue nationale dans le mode d'emploi ou par les notices explicatives qui accompagnent le produit en cause.
Il résulte de ce qui précède que l'obligation d'emploi de la langue nationale ne saurait, en principe, être conforme au droit communautaire que lorsque le bénéfice de la protection recherchée est limité à ceux qui méritent et ont vraiment besoin d'être protégés, à savoir les consommateurs finals.
La question de la compatibilité du droit de la langue française avec la réglementation communautaire qui se pose en matière de circulations des biens, pourrait se poser avec la liberté de circulation des personnes. Dans quelle mesure pourra-t-on en effet continuer à imposer l'emploi de la langue française à un ressortissant de la Communauté Européenne ayant affaire à l'administration ou à la justice française ? Dans un ordre d'idée un peu différent, pourra-t-on exiger la preuve de la connaissance de la langue du pays dans lequel un ressortissant d'un Etat membre veut t'établir s'agissant notamment des professions réglementées.[205]
B - LE DROIT DE LA LANGUE FRANCAISE ET LA LIBERTE DE CIRCULATION DES PERSONNES
En vertu du principe de la liberté de circulation des personnes, un ressortissant d'un Etat membre doit pouvoir accéder dans un autre Etat membre à une activité professionnelle et l'exercer, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet Etat.[206] Cette exigence d'égalité de traitement, dans un Etat membre, est primordiale et constitue le développement, dans le domaine de la libre circulation des personnes, du principe général d'interdiction des discriminations fondées sur la nationalité posé à l'article 7 du traité de Rome.
Or, à certains égards, certaines dispositions du droit de la langue française peuvent être considérées comme constitutive d'une entrave à la libre circulation des personnes. L'exigence de la connaissance de la langue française imposée aux ressortissants des Etats membres désirant s'établir en France pourrait ainsi être considérée comme étant constitutive d'une entrave à la libre circulation des personnes, alors même que cette exigence s'impose à tout le monde sans distinction de nationalité. On serait donc en présence d'une discrimination indirecte résultant de l'emploi d'un critère de distinction en apparence neutre à savoir l'exigence de la connaissance de la langue française dont les effets sont identiques à ceux auxquels aboutirait l'application du critère de distinction prohibée à savoir la discrimination fondée sur la nationalité. En effet, subordonner l'accès à certains emplois à des conditions de connaissances linguistiques a pour effet indirect d'écarter les ressortissants non francophones de la Communauté Européenne des emplois offerts. C'est le cas dans les professions dites réglementées à savoir la profession d'avocat, de médecin, de pharmacien, d'enseignant....
Cependant, pour fondamentale qu'elle soit dans l'ordre juridique communautaire, la liberté de circulation des personnes ne saurait être absolue. Les auteurs du Traité de Rome ont été suffisamment réalistes pour admettre que, dans certaines hypothèses et à certaines conditions, les Etats pourraient y déroger. Les autorités d'un Etat membre sont donc habilitées à refuser aux ressortissants des autres Etats membres le bénéfice des droits conférés par le traité et la réglementation communautaire en considération des intérêts vitaux de cet Etat ou de certains attributs essentiels de la souveraineté étatique. Les limites ainsi autorisées par le traité à la liberté de circulation sont de deux ordres. Les premières tiennent à la nature ou aux caractéristiques de certaines activités professionnelles. Elles permettent à l'Etat de réserver de telles activités à ses propres nationaux notamment les emplois dans l'administration publique. Les secondes concernent le comportement du ressortissant d'un autre Etat membre, qui justifient qu'il ne soit pas autorisé à séjourner sur le territoire national pour des raisons d'ordre public.
D'autre part, la Cour de Justice des Communautés Européennes a été amenée à se prononcer sur cette question de la compatibilité de l'exigence de la connaissance de la langue nationale, condition d'accès à l'emploi, avec la liberté de circulation des personnes. En effet, dans une décision du 28/11/1989, la CJCE a considéré que la défense et la promotion de la langue nationale, qui est un aspect fondamental de l'identité culturelle nationale, constitue un objectif digne d'être protégé en droit communautaire pouvant justifier des restrictions à la libre circulation des travailleurs[207]. Selon la CJCE, un poste permanent de professeur d'art à temps plein dans les institutions publiques irlandaises d'enseignement professionnel est un emploi de nature à justifier l'exigence de connaissances linguistiques pour autant que les connaissances linguistiques exigées s'inscrivent dans le cadre d'une politique de promotion de la langue nationale qui est en même temps la première langue officielle et que cette exigence soit mise en oeuvre de façon proportionnelle et non discriminatoire. Cet arrêt de la CJCE permet de conclure à fortiori que la connaissance de la langue dans laquelle l'enseignement est dispensé peut-être requise. Cette décision pourrait-elle permettre à la France de soumettre l'accès à certaines professions à la preuve de la connaissance de la langue française ? C'est donc à la lumière du principe de proportionnalité qu'il conviendra de déterminer les emplois dont la nature peut justifier l'exigence de la connaissance de la langue française. Ainsi, les emplois de l'enseignement sont, par nature, de ceux pour lesquels en Etat membre qui poursuit une politique de sauvegarde et de promotion d'une langue nationale peut exiger une connaissance suffisante de cette langue. Quant à d'autres professions notamment réglementées[208], il n'est pas possible de donner une réponse précise et tranchée à la question de la compatibilité de la preuve de la connaissance de la langue française avec le droit communautaire soit en raison de l'absence de décisions de la CJCE soit en raison de décisions contradictoires. Il nous appartient donc de proposer une réponse en prenant en considération non seulement les décisions de la CJCE mais également notre appréciation de la question.
Il paraît indispensable que celui qui veut par exemple pratiquer le droit dans un Etat autre que celui dans lequel il a exercé ou a été formé, ait une connaissance suffisante de la langue de l'Etat dans lequel il entend s'établir. En effet, chaque système judiciaire interne a sa langue judiciaire et il arrive que cette langue ne soit pas la même dans l'Etat de provenance et dans celui d'accueil. Notre réponse quant à la compatibilité de la preuve de la connaissance de la langue française avec le droit communautaire dépend donc de l'emploi qui est pourvu. Ainsi, dés lors que l'emploi à pourvoir implique l'exigence de relations avec les habitants du pays d'accueil, la preuve de la connaissance de la langue nationale peut-être exigée alors même qu'elle serait susceptible d'entraîner des restrictions à la libre circulation des travailleurs. En d'autres termes, les restrictions linguistiques sont justifiées dés lors que la nature de l'emploi à pourvoir requiert des connaissances linguistiques. C'est sans doute le cas pour la profession d'avocat. Cette solution peut-être déduite de l'interprétation de l'importante directive 89/48 du Conseil Européen du 21/12/1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur sanctionnant des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans. L'Etat d'accueil peut imposer aux ressortissants des Etats membres un stage d'adaptation ou le soumettre à une épreuve d'aptitude lorsque la formation qu'il a reçu porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le diplôme national. Or, soumettre un ressortissant à une épreuve d'aptitude écrite ou orale, c'est en fait exiger la connaissance de la langue nationale. Cette solution semble pouvoir être étendue à d'autres professions notamment médicales. Il faut cependant noter qu'il existe une jurisprudence de la CJCE qui considère que l 'exigence de la preuve de la connaissance de la langue nationale, s'agissant des médecins et des pharmaciens, est constitutive d'une entrave à la libre circulation des personnes. Cette solution semble cependant pouvoir être remise en cause par l'arrêt Groener du 24/3/1994 de la CJCE.
Reste à savoir si le droit de la langue française est compatible avec les dispositions propres aux langues régionales.
SECTION 2 : LA COMPATIBILITE DU DROIT DE LA LANGUE FRANCAISE AVEC DES NORMES D'ORDRE INTERNE
L'Etat n'est pas intervenu uniquement pour réglementer la langue française mais également pour conférer aux langues régionales un statut juridique particulier pour défendre et préserver les particularismes locaux. A priori, on pourrait penser que le droit de la langue française et le droit des langues régionales soient inconciliables. Avant de pouvoir répondre à cette question, il faut s'intéresser à la législation et à la réglementation relatives aux langues régionales.
I - LE DROIT DES LANGUES REGIONALES
A l'origine, les visées de l'Etat consistaient à renforcer le pouvoir central par une réduction des particularismes locaux. La volonté était de faire avancer la langue française en supplantant les idiomes locaux. L'unification du territoire passait par l'unification linguistique. Depuis, l'unité linguistique de la France est réalisée. Les langues régionales ne menacent plus l'existence de la langue française qui a réussi à s'imposer et à se maintenir.
A - L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES REGIONALES
Rompant avec une longue tradition d'unification linguistique, la loi Deixone ndeg.51-46 du 11/1/1951 introduit la préoccupation des langues et dialectes locaux au sein de l'éducation nationale. Cinq langues sont prises en compte à savoir le breton, le catalan, le corse et l'occitan. Les dispositions de la loi, empreintes de prudence, n'en sont pas moins audacieuses et couvrent l'ensemble des niveaux d'enseignement. Dans le primaire, il est prévu que des instructions seront adressées aux recteurs en vue d'autoriser les maîtres à recourir aux parlers locaux " chaque fois qu'ils pourront en tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l'étude de la langue française ". Tout instituteur en faisant la demande pourra être autorisé à consacrer une heure par semaine à l'enseignement de notions élémentaires de lecture et d'écriture du parler local, cet enseignement étant, toutefois, facultatif pour les élèves. Dans les écoles normales, des cours et stages facultatifs seront organisés, portant sur les langues locales, le folklore, la littérature et les arts populaires locaux. Dans le secondaire, " l'enseignement facultatif de toutes les langues et dialectes locaux, ainsi que du folklore, de la littérature et des arts populaires locaux, pourra prendre place dans le cadre des activités dirigées ". Le décret modificatif du 10/7/1970 précise que dans les universités où il est possible d'adjoindre au jury un examinateur compétent, une épreuve facultative sera inscrite au programme du baccalauréat. Enfin, dans l'enseignement supérieur, il est prévu, certes dans la mesure des crédits disponibles, la création d'un institut d'études régionalistes comportant des chaires pour l'enseignement des langues et littératures locales.[209]
B - A LA RECHERCHE D'UN STATUT JURIDIQUE COHERENT DES LANGUES REGIONALES
Depuis la loi Deixone, un certain nombre de textes particuliers sont venus apporter leurs concours à la création d'un statut juridique cohérent des langues régionales. L'analyse détaillée de ces mesures dépasserait les limites de cette étude et nous entraînerait dans le dédale de subtilités pédagogiques qui, en tout état de cause, dépassent notre compétence.
La circulaire du ministre de l'éducation nationale du 24/10/1966 crée des commissions académiques et prévoit la réalisation et la distribution de documentation relative aux langues et cultures régionales, en relation avec l'enseignement de l'histoire et de la géographie.
Le décret du 5/10/1970 instaure une épreuve facultative de langues et cultures régionales.
La circulaire du 21/11/1975 recommande l'organisation de stages en faveur des enseignants des deux premiers degrés, non seulement pour les langues régionales dans les académies correspondantes, mais également pour les cultures régionales dans l'ensemble des académies.
La circulaire du 21/6/1982 précise l'engagement de l'Etat dans ce domaine à savoir que les enseignements de langues et cultures régionales bénéficieront d'un véritable statut dans l'éducation nationale, et que cet enseignement sera basé sur le volontariat des élèves et des enseignants, dans le respect de la cohérence du service public.
Cependant, il ne s'agit que d'un ensemble de textes disparates sans grande cohérence en l'absence d'un texte de portée générale voire constitutionnelle qui viendrait reconnaître aux langues régionales le statut de " langue officielle de la République ". Or, avec la révision constitutionnelle et l'adoption des dispositions visant à défendre la langue française, la question de la préservation des langues régionales ne semble plus être à l'ordre du jour.
II - LA COMPATIBILITE DU DROIT DE LA LANGUE FRANCAISE AVEC LES DISPOSITIONS PROPRES AUX LANGUES REGIONALES
En effet, protéger la langue française en imposant son usage dans un certain nombre de circonstances de la vie courante et professionnelle est susceptible de se faire au dépens des langues régionales. Cependant, il semble que ces deux préoccupations à savoir la protection de la langue française et des langues régionales soient conciliables.
A - UNE REMISE EN CAUSE POSSIBLE DE LA POLITIQUE DE PROTECTION DES LANGUES ET CULTURES REGIONALES
Le droit de la langue française ne condamne pas seulement l'usage d'une langue étrangère, mais aussi celui des langues régionales, encore parlées et même parfois écrites, concurremment avec la langue française, dans certaines régions françaises.[210] Et pourtant, il n'a pas été dans les intentions de l'Etat de prohiber l'emploi des langues régionales. A M.Cot, auteur d'un amendement dans le cadre de l'adoption de la loi de 1975 relative à l'emploi de la langue française, on a répondu que la chose allait sans dire et que la précision était inutile. La réponse était exacte, parce que le texte alors discuté à l'Assemblée Nationale interdisait l'emploi d'une langue étrangère, et que les langues régionales, n'étant pas étrangères, ne tombaient pas sous le coup de cette interdiction. Mais, voulant rendre le texte plus explicite, le Sénat a substitué à l'interdiction d'employer une langue étrangère l'obligation d'employer la française. Cette nouvelle rédaction a ensuite été approuvée par l'Assemblée Nationale et elle semblait bien condamner l'emploi des langues régionales. C'est à l'occasion de l'adoption de la loi de 1994 que l'Etat a réaffirmé sa volonté de préserver et promouvoir les langues régionales levant ainsi l'incertitude sur ses intentions.
B - LA POURSUITE DE LA POLITIQUE DE PROMOTION DES LANGUES REGIONALES
La législateur a exprimé récemment son intention de préserver la place des langues régionales. L'article 21 de la loi de 1994 précise qu'elle s'appliquera " sans préjudice de la législation et de la réglementation relative aux langues régionales ". C'est donc qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre le droit de la langue française et le droit des langues régionales. Néanmoins, la loi de 1994 a diminué l'espace de liberté dans lequel les locuteurs des langues régionales pouvait s'exprimer. D'autre part, l'idée d'une reconnaissance officielle des langues régionales qui seraient ainsi considérées comme " langues de la République Française " au même titre que la langue française, s'évanouit.
[196] Les buts admis par l'article 10 de la CEDH pour limiter la liberté d'expresion " la sécurité nationale, l'intégrité territoriale, la sûreté publique, la protection de la santé, de la morale... ".
[197] J.O.R.F du 1/02/1981, page 398.
[198] A savoir les bretons, les basques, les catalans, les corses, les alsaciens.
[199] L'article 2 de la constitution stipule que la République " assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion ".
[200] G.Druesne, " Le Droits matériels et politiques de la Communauté Européenne ", Collection droit fondamental PUF.
[201] Article 30 du traité de Rome: " Les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres ".
[202] " L'emploi des langues pour la commercialisation des denrées alimentaires ", REVUE DU MARCHE UNIQUE EUROPEEN, Janvier 1994 page 25.
[203] CJCE 7/10/1991, Affaire C.362.88 /GB-INNO-BM.
CJCE 20/2/1972, Affaire 120/78, " CASSIS de DIJON ", LEBON 1979 page 649.
[204] Cette obligation ne doit pas être respectée au stade du dédouanement sauf pour les déclarations de douane.
[205] Avocat, Médecin, Pharmacien.
[206] Article 48 DU TRAITE DE ROME: " La libre circulation des travailleurs implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. "
[207] CJCE 28/11/1989, Affaire Groener379/87, LEBON page 3965.
[208] SUPRA Ndeg.188.
[209] P.Malaurie, " Le droit français et la diversité des langues ", CLUNET 1965.
[210] D.Latournerie, " Le droit de la langue française ", EDCE 1989 page 112.
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