Code Civil

LIVRE TROISIEME: DES DIFFERENTES MANIERES DONT ON ACQUIERT LA PROPRIETE

TITRE 20. - DE LA PRESCRIPTION ET DE LA POSSESSION

Chapitre 1er. - Dispositions générales

Article 2219:
La prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi.

Article 2220:
On ne peut, d'avance, renoncer à la prescription: on peut renoncer à la prescription acquise.

Article 2221:
La renonciation à la prescription est expresse ou tacite; la renonciation tacite résulte d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis.

Article 2222:
Celui qui ne peut aliéner ne peut renoncer à la prescription acquise.

Article 2223:
Les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription.

Article 2224:
La prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel, à moins que la partie qui n'aurait pas opposé le moyen de la prescription ne doive, par les circonstances, être présumée y avoir renoncé.

Article 2225:
Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer, encore que le débiteur ou le propriétaire y renonce.

Article 2226:
On ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce.

Article 2227:
L'Etat, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers et peuvent également les opposer.

Chapitre 2. - De la possession

Article 2228:
La possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom.

Article 2229:
Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.

Article 2230:
On est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s'il n'est prouvé qu'on a commencé à posséder pour un autre.

Article 2231:
Quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s'il n'y a preuve du contraire.

Article 2232:
Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription.

Article 2233:
Les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d'opérer la prescription.

La possession utile ne commence que lorsque la violence a cessé.

Article 2234:
Le possesseur actuel qui prouve avoir possédé anciennement est présumé avoir possédé dans le temps intermédiaire, sauf la preuve contraire.

Article 2235:
Pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux.

Chapitre 3. - Des causes qui empêchent la prescription

Article 2236:
Ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit.

Ainsi le fermier, le dépositaire, l'usufruitier, et tous autres qui détiennent précairement la chose du propriétaire, ne peuvent la prescrire.

Article 2237:
Les héritiers de ceux qui tenaient la chose à quelqu'un des titres désignés par l'article précédent ne peuvent non plus prescrire.

Article 2238:
Néanmoins, les personnes énoncées dans les articles 2236 et 2237 peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d'un tiers, soit par la contradiction qu'elles ont opposée au droit du propriétaire.

Article 2239:
Ceux à qui les fermiers, dépositaires et autres détenteurs précaires ont transmis la chose par un titre translatif de propriété peuvent la prescrire.

Article 2240:
On ne peut pas prescrire contre son titre, en ce sens que l'on ne peut point se changer à soi-même la cause et le principe de sa possession.

Article 2241:
On peut prescrire contre son titre, en ce sens que l'on prescrit la libération de l'obligation que l'on a contractée.

Chapitre 4. - Des causes qui interrompent ou qui suspendent le cours de la prescription

Section 1. - Des causes qui interrompent la prescription
Article 2242:
La prescription peut être interrompue ou naturellement ou civilement.

Article 2243:
Il y a interruption naturelle lorsque le possesseur est privé, pendant plus d'un an, de la jouissance de la chose, soit par l'ancien propriétaire, soit même par un tiers.

Article 2244:
Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.

Article 2245:
La citation en conciliation devant le bureau de paix interrompt la prescription, du jour de sa date, lorsqu'elle est suivie d'une assignation en justice donnée dans les délais de droit.

Article 2246:
La citation en justice, donnée même devant un juge incompétent, interrompt la prescription.

Article 2247:
Si l'assignation est nulle par défaut de forme,
si le demandeur se désiste de sa demande
s'il laisse périmer l'instance,
ou si sa demande est rejetée,
l'interruption est regardée comme non avenue.

Article 2248:
La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait.

Article 2249:
L'interpellation faite, conformément aux articles ci-dessus, à l'un des débiteurs solidaires, ou sa reconnaissance, interrompt la prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

L'interpellation faite à l'un des héritiers d'un débiteur solidaire, ou la reconnaissance de cet héritier, n'interrompt pas la prescription à l'égard des autres cohéritiers, quand même la créance serait hypothécaire, si l'obligation n'est indivisible.

Cette interpellation ou cette reconnaissance n'interrompt la prescription, à l'égard des autres codébiteurs, que pour la part dont cet héritier est tenu.

Pour interrompre la prescription pour le tout, à l'égard des autres codébiteurs, il faut l'interpellation faite à tous les héritiers du débiteur décédé, ou la reconnaissance de tous ces héritiers.

Article 2250:
L'interpellation faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance, interrompt la prescription contre la caution.

Section 2. - Des causes qui suspendent le cours de la prescription
Article 2251:
La prescription court contre toutes personnes, à moins qu'elles ne soient dans quelque exception établie par une loi.

Article 2252:
La prescription ne court pas contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf ce qui est dit à l'article 2278 et à l'exception des autres cas déterminés par la loi.

Article 2253:
Elle ne court point entre époux.

Article 2254:
La prescription court contre la femme mariée, encore qu'elle ne soit point séparée par contrat de mariage ou en justice, à l'égard des biens dont le mari a l'administration, sauf son recours contre le mari.

Article 2255:
Abrogé.

Article 2256:
Abrogé.

Article 2257:
La prescription ne court point:

A l'égard d'une créance qui dépend d'une condition jusqu'à ce que la condition arrive;
A l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu;
A l'égard d'une créance à jour fixe, jusqu'à ce que ce jour soit arrivé.

Article 2258:
La prescription ne court pas contre l'héritier bénéficiaire, à l'égard des créances qu'il a contre la succession.

Elle court contre une succession vacante, quoique non pourvue de curateur.

Article 2259:
Elle court encore pendant les trois mois pour faire inventaire, et les quarante jours pour délibérer.

Chapitre 5. - Du temps requis pour prescrire

Section 1. - dispositions générales
Article 2260:
La prescription se compte par jours, et non par heures.

Article 2261:
Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.

Section 2. - De la prescription trentenaire
Article 2262:
Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.

Article 2263:
Après vingt-huit ans de la date du dernier titre, le débiteur d'une rente peut être contraint à fournir à ses frais un titre nouveau à son créancier ou à ses ayants cause.

Article 2264:
Les règles de la prescription sur d'autres objets que ceux mentionnés dans le présent titre sont expliquées dans les titres qui leur sont propres.

Section 3. - De la prescription par 10 et 20 ans
Article 2265:
Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans, si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la cour d'appel dans l'étendue de laquelle l'immeuble est situé; et par vingt ans, s'il est domicilié hors dudit ressort.

Article 2266:
Si le véritable propriétaire a eu son domicile en différents temps, dans le ressort et hors du ressort, il faut, pour compléter la prescription, ajouter à ce qui manque aux dix ans de présence un nombre d'années d'absence double de celui qui manque, pour compléter les dix ans de présence.

Article 2267:
Le titre nul par défaut de forme ne peut servir de base à la prescription de dix et vingt ans.

Article 2268:
La bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.

Article 2269:
Il suffit que la bonne foi ait existé au moment de l'acquisition.

Article 2270:
Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagées en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article.

Article 2270-1:
Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Section 4. - De quelques prescriptions particulières
Article 2271:
L'action des maîtres et instituteurs des sciences et arts, pour les leçons qu'ils donnent au mois;

Celle des hôteliers et traiteurs à raison du logement et de la nourriture qu'ils fournissent,

se prescrivent par six mois.

Article 2272:
L'action des huissiers, pour le salaire des actes qu'ils signifient et des commissions qu'ils exécutent;

Celle des maîtres de pensions, pour le prix de pension de leurs élèves, et des autres maîtres, pour le prix de l'apprentissage, se prescrivent par un an.

L'action des médecins, chirurgiens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens, pour leurs visites, opérations et médicaments, se prescrit par deux ans.

L'action des marchands, pour les marchandises qu'ils vendent aux particuliers non marchands, se prescrit par deux ans.

Article 2273:
L'action des avoués ( avocats), pour le paiement de leurs frais et salaires, se prescrit par deux ans, à compter du jugement des procès ou de la conciliation des parties, ou depuis la révocation desdits avoués ( avocats). A l'égard des affaires non terminées, ils ne peuvent former de demandes pour leurs frais et salaires qui remonteraient à plus de cinq ans.

Article 2274:
La prescription, dans les cas ci-dessus, a lieu, quoiqu'il y ait eu continuation de fournitures, livraisons, services et travaux.

Elle ne cesse de courir que lorsqu'il y a eu compte arrêté, cédule ou obligation, ou citation en justice non périmée.

Article 2275:
Néanmoins, ceux auxquels ces prescriptions seront opposées peuvent déférer le serment à ceux qui les opposent, sur la question de savoir si la chose a été réellement payée.

Le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s'ils sont mineurs, pour qu'ils aient à déclarer s'ils ne savent pas que la chose soit due.

Article 2276:
Les juges ainsi que les personnes qui ont représenté ou assisté les parties sont déchargés des pièces cinq ans après le jugement ou la cessation de leur concours.

Les huissiers de justice, après deux ans depuis l'exécution de la commission ou la signification des actes dont ils étaient chargés, en sont pareillement déchargés.

Article 2277:
Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement:
- des salaires;
- des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires;
- des loyers et fermages;
- des intérêts des sommes prêtées,
et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts.

Article 2277-1:
L'action dirigée contre les personnes légalement habilitées à représenter ou à assister les parties en justice à raison de la responsabilité qu'elles encourent de ce fait se prescrit par dix ans à compter de la fin de leur mission.

Article 2278:
Les prescriptions dont il s'agit dans les articles de la présente section courent contre les mineurs et les majeurs en tutelle; sauf leur recours contre leurs tuteurs.

Article 2279:
En fait de meubles, la possession vaut titre.

Néanmoins celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans, à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient.

Article 2280:
Si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l'a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu'en remboursant au possesseur le prix qu'elle lui a coûté.

Le bailleur qui revendique, en vertu de l'article 2102, les meubles déplacés sans son consentement et qui ont été achetés dans les mêmes conditions doit également rembourser à l'acheteur le prix qu'ils lui ont coûté.

Article 2281:
Les prescriptions commencées à l'époque de la publication du présent titre seront réglées conformément aux lois anciennes.

Néanmoins les prescriptions alors commencées, et pour lesquelles il faudrait encore, suivant les anciennes lois, plus de trente ans à compter de la même époque, seront accomplies par ce laps de trente ans.

Chapitre 6. - De la protection possessoire

Article 2282:
La possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l'affecte ou la menace.

La protection possessoire est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits.

Article 2283:
Les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement.

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