Assemblée Nationale

Compte-Rendu Analytique Officiel

Session ordinaire de 1997-1998, 73e jour de séance, 170ème séance

Séance du Jeudi 5 mars 1998


PROTECTION JURIDIQUE DES BASES DE DONNÉES
(procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données.

M. le Président - Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné selon la procédure simplifiée.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Ce projet transpose dans le code de la propriété intellectuelle la cinquième directive harmonisant en Europe le droit d'auteur. La coopération communautaire, économiquement nécessaire pour la réalisation du marché unique, contribuera, au plan culturel, à renforcer la protection des créateurs, dans l'Union européenne, dans l'Espace économique européen, mais aussi dans les pays d'Europe centrale et orientale qui adaptent progressivement leurs législations aux normes de la Communauté.

Les droits de propriété intellectuelle deviennent chaque jour davantage des facteurs essentiels des échanges internationaux et dans cette compétition, il nous faut renforcer la position de l'Europe, en particulier dans le forum spécialisé que constitue l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Votre Assemblée a largement approuvé, à plusieurs reprises, cette démarche communautaire, que je vous propose de compléter. Le projet définit le régime juridique des bases de données qui constituent désormais un enjeu majeur du développement de la société de l'information. Elles se placent en effet au confluent de deux mondes de la création : celui de la création intellectuelle classique, exprimée notamment dans des recueils de textes ou des anthologies, présentés sur papier ; celui des ensembles informationnels constitués grâce aux nouvelles technologies et contenant un nombre pratiquement illimité d'oeuvres ou d'informations dans des domaines très variés.

Le passage de l'un à l'autre ne doit pas conduire à une domination du droit par la technique:

l'équilibre doit être préservé entre un développement qu'il faut encourager, et les principes du droit d'auteur auxquels nous sommes tous attachés. C'est ce qu'a remarquablement exprimé le rapport de la commission des lois, dont je tiens à féliciter Mme Tasca et M. Gouzes. J'indique immédiatement que j'approuverai tous les amendements de la commission.

Mais j'exposerai d'abord ma conception de la base de données. Celle-ci recouvre aussi bien des formes classiques que des ensembles de données factuelles contribuant à l'information ou à la recherche. Les bases de données sont des créations complexes: quel qu'en soit le contenu, oeuvres protégées ou informations non protégeables, leur structure est distincte du logiciel. Lorsque l'agencement des données est original, la protection par le droit d'auteur est acquise.

Si l'on ne peut réduire une base de données à un logiciel, on ne doit pas davantage étendre cette notion au-delà de la définition qu'en donne la directive européenne: "recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen". Le présent texte ne régit pas le champ du multimédia, dont les caractéristiques sont bien plus complexes.

Reprenant les dispositions de la directive, le projet de loi confirme dans son titre premier le principe de protection déjà posé par notre législation lors de la mise en vigueur en 1996 des accords ADPIC, qui se référaient eux-mêmes à la Convention de Berne. Les compléments apportés au code de la propriété intellectuelle précisent seulement les conditions de mise en oeuvre de cette protection, pour tenir compte des risques particuliers de piraterie menaçant les bases de données électroniques, et pour dispenser celui qui a été autorisé à accéder aux informations contenues dans la base, de solliciter une autorisation spécifique pour les actes techniques liés à la consultation. Cela simplifie les démarches de l'utilisateur, sans pour autant lui permettre le stockage ni la retransmission.

En revanche, le titre Il apporte une innovation : l'investissement des producteurs de bases de données méritait de recevoir une protection spécifique, que la directive institue au titre d'un droit nouveau, non assimilable au droit d'auteur et aux droits voisins, et portant sur le contenu de la base. Cette protection permet au producteur de bénéficier d'un équitable retour sur investissement, sans que cela affecte la possibilité d'accéder aux sources de l'information.

Cette partie du projet, qui reprend tout le dispositif de la directive, dote les acteurs des industries de l'information des moyens de se protéger contre les risques de piraterie, notamment sur les réseaux numériques - et cela d'autant plus que le Gouvernement a assorti cette nouvelle protection de sanctions dissuasives.

Au-delà de ce texte, s'engagent des réflexions, en France comme dans l'Union européenne, sur l'organisation de la protection du droit d'auteur et des droits voisins dans l'environnement numérique. Le Premier ministre en a tracé les lignes de force dans le récent programme d'action gouvernemental pour "préparer l'entrée de la France dans la société de l'information". A l'échelle européenne, l'élaboration d'une nouvelle directive vient de débuter et votre délégation pour l'Union européenne est saisie pour avis.

C'est dans ce contexte que je vous demande de bien vouloir approuver le présent projet de loi, sous réserve des amendements du rapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois - Chacun a compris que ce texte est difficile et important. L'expansion du marchés des bases de données ne pouvait rester sans conséquences pour le droit à la propriété intellectuelle. Or, il existe de grands déséquilibres, que ce soit entre les Etats-Unis et l'Europe ou même entre les États européens, le Royaume-Uni recevant la part du lion aux dépens de la France et l'Allemagne.

Un développement harmonieux de ce secteur d'activité suppose la définition de règles juridiques communes. C'est le 13 mai 1992 que la Commission européenne a adopté une proposition de directive -laquelle, définitivement adoptée le 11 mars 1996, constitue le cinquième texte d'harmonisation européenne en matière de propriété intellectuelle.

A l'heure qu'il est, seuls parmi nos partenaires l'Allemagne, l'Autriche, le Royaume-Uni et la Suède ont adapté leurs législations, alors que les États membres étaient invités à s'y conformer avant le 1er janvier 1998.

Le projet complète le code de la propriété intellectuelle par des dispositions qui, d'une part, adaptent les règles du droit d'auteur aux bases de données - titre premier - et, d'autre part, instaurent une protection spécifique au profit des producteurs - titre II.

Le titre premier tire les conséquences de la consécration de la protection de la structure de la base par le droit d'auteur lorsque le choix ou la disposition des matières constitue une création intellectuelle originale. Pour ce faire, se limitant à transcrire les dispositions impératives de la directive, il intègre les bases de données dans le champ des oeuvres déjà visées à l'article L.112-3 du code de la propriété intellectuelle et adapte le régime des exceptions au droit exclusif.

Le titre II, insère un titre IV dans le livre III du code de la propriété intellectuelle. Le chapitre premier délimite le champ d'application des droits spécifiques des producteurs de bases de données; le chapitre II en fixe le contenu, la protection s'identifiant à un droit sui generis. Les principes posés empruntent à la fois au droit intellectuel et à l'action en concurrence déloyale.

Enfin, le titre III contient des dispositions diverses et transitoires.

Les discussions de la commission ont notamment porté sur le droit d'auteur. En droit français, une création n'est protégée que si elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; celui-ci bénéficie dès lors du droit d'en autoriser ou non les exploitations. Le code de la propriété intellectuelle parle de "droit de propriété exclusif et opposable à tous". Le projet consacre l'existence d'un droit d'auteur sur la base de données, en tant que produit fini, et désigne le créateur de la base comme son titulaire. Mais la plupart des organisations professionnelles demandent que ce droit soit dévolu à l'employeur lorsque le créateur est un salarié, à l'instar de ce qui avait été prévu par la loi de 1974 pour les logiciels. Outre ce précédent, ont été invoqués la difficulté de dissocier la base de données du logiciel, le risque d'inciter à ne pas recourir à des créateurs salariés, l'impossibilité d'inscrire les bases de données dans les actifs des entreprises, les risques d'insécurité juridique, voire de délocalisation à l'étranger. Nous avons résisté à ces arguments. En effet, les bases de données constituent des produits composites, à la différence des logiciels. En outre, ceux-ci sont souvent créés dans des entreprises dont ce n est pas la vocation : ce n est pas le cas pour les bases de données. Par ailleurs, personne ne nous a fait la démonstration de l'effet anti-économique de la formule retenue dans le projet ; et abandonner celle-ci serait aller contre la transparence. Au demeurant, rien n'interdit de négocier un contrat de cession de droits en sus du contrat de travail.

Tel est l'esprit dans lequel la commission a examiné ce projet, qu'en son nom je vous demande d'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

 

ART. 4

M. le Rapporteur - L'amendement 7 est rédactionnel.

L'amendement 7, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.
L'article 4 ainsi amendé, mis aux voix, est adopté.

 

ART. 5

M. le Rapporteur - L'amendement 8, qui tend à fusionner les articles L.341-1 et L.341-3 du code de la propriété intellectuelle, poursuit plusieurs objectifs : il désigne clairement le titulaire du droit sui generis - le producteur ; il précise que l'objet de la protection est le contenu de la base et non pas la base elle-même afin d'éviter tout risque de confusion avec le droit d'auteur dont bénéficie le créateur de cette base ; enfin, il simplifie la rédaction tout en précisant certaines notions transposées de la directive.

L'amendement 8, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 9 est de coordination.

L'amendement 9, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 10 est rédactionnel.

L'amendement 10, accepté par Ici Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 11 transpose une disposition de la directive qui permet au producteur d'interdire certains actes portant sur des parties non substantielles du contenu de la base dont la fréquence permet de facto de les assimiler à l'extraction ou la réutilisation d'une partie substantielle. Il s'agit ainsi de prévenir le "parasitisme", facilité par les progrès technologiques. Le recours à l'action en concurrence déloyale, qui produirait des effets comparables, ne serait pas adapté car il suppose un comportement fautif et une relation de concurrence, ce qui ne sera pas toujours le cas. Ici, on incite les intéressés a régler les problèmes par la voie contractuelle plutôt que par la voie judiciaire ; dans tous les cas de figure, la charge de la preuve incombera au producteur.

L'amendement 11, accepté par le Gouvernement, mis au voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 12 est de précision.

L'amendement 12, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 1 aussi.

L'amendement 1, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 2 rectifié est de conséquence.

L'amendement 2 rectifié accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 3 est de précision.

L'amendement 3, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 4 est rédactionnel.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 5 modifié, mis aux voix, est adopté.

 

ART. 6

M. le Rapporteur - L'amendement 5 tend à supprimer l'article 6, selon lequel ni le droit d'auteur, ni le droit sui generis du producteur ne peuvent faire échec aux actes nécessaires à l'accomplissement d'une procédure juridictionnelle ou administrative. En effet, il dépasse le cadre de la directive et du projet ; en outre, de multiples procédures administratives et juridictionnelles permettent d'ores et déjà de satisfaire son objectif.

Mme la Ministre - Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

L'amendement 5, mis aux voix, est adopté, et l'article 6 est ainsi supprimé.

 

ART. 8

M. le Rapporteur - Il convient de bien préciser que la protection juridique des bases de données court à compter du 1er janvier 1998, sous réserve des sanctions pénales du code de la protection intellectuelle visées à l'article 5, qui ne sauraient rétroagir : tel est l'objet de l'amendement 6 rectifié.

L'amendement 6 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 8 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté

 

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Olivier de Chazeaux - Nul ne contestera l'importance et l'opportunité de ce projet, à l'heure où l'industrie de l'information est en plein essor, et l'intervention du législateur vient conclure une évolution de la jurisprudence entamée par l'arrêt de la Cour de cassation dans l'affaire Microfor-Le Monde. Je félicite le rapporteur d'avoir invité la commission et l'Assemblée à ne pas céder aux sirènes du copyright anglo-saxon et à préserver, non seulement l'exception culturelle, mais aussi l'exception juridique française. Le groupe RPR votera donc le texte, mais j'invite le Gouvernement à suivre attentivement l'évolution de la jurisprudence, notamment sur la notion d'investissement substantiel, car nous devrons sans doute compléter ou amender la législation en conséquence.

M. Laurent Dominati - Très bien !

M. Christian Paul - C'est la première fois de la législature que nous traitons des technologies de l'information, et je gage que l'occasion nous en sera redonnée dans un avenir proche. La directive européenne, comme le texte qui la transpose, constitue un heureux compromis entre les droits des créateurs et ceux des producteurs, entre l'encouragement à la créativité et la sécurité juridique des entreprises. Le recours au droit d'auteur offre aux créateurs, y compris salariés, de bien meilleures garanties que ne le ferait l'assimilation des bases de données à des logiciels. Quant aux producteurs, ils sont convenablement protégés contre le parasitage et le pillage des données. Le groupe socialiste votera ce projet, qui ne constitue cependant qu'une étape, car il sera sans doute nécessaire de préciser encore les choses, à la lumière de l'évolution de la jurisprudence : l'arrêt "DNA" n'a certainement pas échappé, Madame la ministre, à l'élue strasbourgeoise que vous êtes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Laurent Dominati - Ce projet important et bienvenu conclut un travail de longue haleine et de bonne qualité. Le groupe UDF le votera, mais je crois, comme l'orateur précédent, que nous aurons a travailler de nouveau sur cette question dans les années à venir. Je souhaite que nous le fassions dans le même esprit consensuel, à la fois européen et fidèle à une certaine tradition juridique française.

M. Olivier de Chazeaux - Très bien !

L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté.

 

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