Piéton - Faute d'une exceptionnelle gravité
Epoux Gardien
Le Dalloz du 21 décembre 1995 pp 633 et suivantes a reproduit le rapport présenté par M. Yves Chartier, Conseiller à ladite Cour. Ce rapport peut également être consulté avec les conclusions de M. le Premier Avocat Général Jéol à la page 1 partie Jurisprudence - Cour de Cassation, du Bulletin d'Information de la Cour de Cassation portant la date du 15 décembre 1995 qui a reproduit l'arrêt in extenso.
Les faits ayant donné lieu à cette importante décision étaient les suivants: en Octobre et de nuit, alors qu'au surplus il pleuvait, un homme qui avait un taux d'alcoolémie de 1,9 gr./litre a tenté sur une route départementale dépourvue d'éclairage public, d'arrêter un véhicule pour se faire prendre à bord. Deux véhicules circulant l'un derrière l'autre surviennent. A la vue de l'homme qui gesticule, le véhicule le plus proche tente de s'arrêter mais le conducteur de la seconde voiture ne pouvant voir ce qui se passe devant la voiture qu'il suit, heurte la voiture qui le précède et le piéton est très sérieusement blessé. L'affaire est venue devant le tribunal de Grande Instance de Morlaix qui a rejeté la demande en réparation présentée par le piéton en raison de la faute inexcusable de la victime. Sur appel, la Cour d'Appel de Rennes a confirmé la décision des premiers juges. L'arrêt a ensuite été cassé par la 2e chambre civile de la Cour de Cassation qui a renvoyé la cause devant la Cour d'appel de Paris qui confirme à son tour l'arrêt de la Cour d'Appel de Rennes. C'est en cet état que l'affaire est revenue devant la Cour de Cassation statuant toutes chambres réunies en application de l'article L.131-2 du Code de l'Organisation judiciaire.
L'arrêt est ainsi rédigé:
Vu l'article 3 alinéa 1 de la loi du 5 juillet 1985;Attendu que seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience; [...]
Attendu que, pour retenir à la charge de M. Larher une faute inexcusable et débouter ses ayants droit de leur demande, l'arrêt retient que M.Lahrer a traversé la chaussée et s'est maintenu sensiblement au milieu de cette voie afin d'arrêter un automobiliste et de se faire prendre à son bord pour regagner son domicile, élément qui caractérise une démarche volontaire, qu'il a ainsi agi, hors agglomération, sur une route dépourvue d'éclairage, à une heure de fréquentation importante, habillé de sombre, de nuit et par temps pluvieux, élément qui caractérise l'exceptionnelle gravité de son comportement, sans raison valable, par simple commodité, et s'est exposé par son maintien sur l'axe médian de la chaussée à un danger dont il aurait dû avoir conscience, alors qu'il venait précédemment d'éviter d'être renversé par un autocar, et que son imprégnation alcoolique n'était pas telle qu'elle ait pu le priver de tout discernement;
Qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ne résulte pas l'existence d'une faute inexcusable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
D'aucun diront sans doute que la motivation qui se limite en fait au dernier motif est un peu laconique. Heureusement le rapport de M.Yves Chartier et les conclusions de M. Michel Jéol nous éclairent sur la motivation qui n'est pas complètement exprimée.
Comme l'expliquent ces deux magistrats, la notion de "faute inexcusable" n'est pas propre au droit de la circulation routière. On la trouve en droit social aux articles L.452-1 du Code de la Sécurité sociale. La faute inexcusable de l'employeur, autorise la victime ou ses ayants droit a obtenir de ce dernier une indemnité complémentaire de l'indemnité légale forfaitaire. On la trouve également en droit maritime, et en droit aérien et l'appréciation du caractère inexcusable ne saurait être différente si l'on se réfère à l'une ou l'autre de ces branches du droit.Au surplus, encore que les travaux préparatoires de la loi Badinter ne soient pas explicites sur ce point, le législateur a souhaité éviter la prolifération des procédures qui si elles devaient être engagées devaient, dans la très grande majorité des cas, avoir un objet limité à l'appréciation du seul dommage.Cette manière de voir devait faciliter l'appréciation du juge des référés saisi d'une demande en fixation de provision. Du fait que l'automobiliste et sa compagnie d'assurances se trouvent automatiquement engagés dans un processus d'indemnisation, on ne devait pas se trouver dans le cas où, il refuserait sa compétence au motif que le principe de la créance de la victime serait incertain.
La jurisprudence est maintenant bien établie sur le fait que la faute inexcusable se reconnaît à quatre éléments cumulatifs:
- le caractère volontaire de la faute,
- l'absence de raison valable,
- la conscience du danger qu'aurait dû en avoir la victime,
- l'exceptionnelle gravité.
La faute du piéton n'était pas volontaire comme pouvait l'être celle commise par le passager d'un fourgon de police qui pour s'en échapper s'était jeté sur la chaussée (Cass.crim.28 juin 1990, No 268, p 684).
Elle ne pouvait pas non plus être comparée à celle du piéton qui délaissant un passage souterrain, s'était engagée en courant sur une voie rapide après avoir franchi la rambarde de protection et le terre plein planté d'arbustes (Cass.crim.12 mai 1993.Bull.crim.No 173 p.442).
Pour ce qui est du caractère volontaire de la faute M. Chartier renvoi à la définition du Professeur Viney selon lequel il se caractérisait comme "l'effort accompli en vue de violer la règle de sécurité montrant le caractère prémédité et réfléchi de l'imprudence commise "in L'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation. LGDJ, 1992, No 32. La faute commise était certes grave mais pas exceptionnelle. Les constatations incluses dans la motivation de l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris étaient donc insuffisantes pour décharger l'automobiliste d'un engagement qui n'est pas fondé sur la commission d'une faute. L'affaire sera à nouveau jugée par la Cour d'Appel de Versailles désignée comme Cour de renvoi. Il sera intéressant de voir si celle-ci résistera à l'arrêt de la Cour de Cassation ou si, au contraire, ce qui paraît plus probable, elle se range à cette jurisprudence.
La deuxième Chambre de la Cour de Cassation a jugé que "le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur victime d'un accident de la circulation dans lequel ce véhicule est seul impliqué ne peut se prévaloir de la loi du 5 juillet 1985 lorsque le gardien de ce véhicule a commis une faute. "Le mari était en effet resté le gardien juridique de l'accident et il avait commis une faute en se saisissant du volant de sorte que l'action aurait dû être engagée sur le fondement des dispositions de droit commun. (C.Cass.2e Ch.8 mars 1995 ;JCP 1995.ed.G.IV.1222 et Bull.civ.II.No 72).