Les Sociétés d'Exercice Libéral:
Enjeux de la capitalisation de l'activité libérale

par Cyril Tardif

Partie I - Sous-Partie I

A - La mise en place d'une structure paradoxale issue d'un compromis


La loi du 31 décembre 1990 qui crée trois nouveaux types de sociétés plus qu'elle n'autorise la constitution de sociétés de capitaux pour l'exercice de professions libérales, n'est pas isolée, mais fait partie d'une réforme plus vaste qui touche le monde libéral.

Les préoccupations économiques ont été déterminantes dans cette réforme, et la loi a suivi l'évolution du monde libéral. L'activité libérale tend de plus en plus vers le mercantilisme, à tel point que sa commercialisation pure et simple pouvait paraître souhaitable. Pourtant, les professionnels eux-mêmes l'ont rejetée. Dès lors, la loi va se faire un point d'honneur de concilier les aspirations d'indépendance des professionnels avec les impératifs de la concurrence.

Cette volonté de préserver l'autonomie des professionnels transforme radicalement les sociétés dont procèdent les sociétés d'exercice libéral.

Les S.E.L.A.R.L., S.E.L.A.F.A. et S.E.L.C.A. sont très éloignées des S.A.R.L., sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions dont elles émanent. Cette différence transparaît au travers de leur objet civil strictement défini et de l'impossibilité pour leurs membres d'être commerçants, alors que les sociétés dont elles découlent sont toujours commerciales, quel que soit leur objet.

Les sociétés d'exercice libéral ne sont pas de véritables sociétés de capitaux, trop de différences juridiques les en séparent. La loi du 31 décembre 1990, beaucoup moins volumineuse que la loi du 24 juillet 1966, comporte des dispositions qui s'attachent à démarquer les sociétés nouvellement créées des sociétés commerciales traditionnelles. Le monde libéral s'opposait à la commercialisation, il ne pouvait donc se satisfaire d'une société commerciale pour organiser une entreprise de service intellectuel. Les possibilités développées par les sociétés de capitaux en matière de compétitivité correspondaient néanmoins aux attentes des professionnels.

L'objectif de la société d'exercice libéral est donc d'allier la nature civile et libérale de l'entreprise au modernisme des structures commerciales. Les points communs entre les sociétés d'exercice libéral et les sociétés de capitaux se trouvent dans la gestion des rapports de la société avec ses membres et avec les tiers. En somme, les dispositions de la loi de 1966 sont applicables aux sociétés d'exercice libéral pour tout ce que la loi du 31 décembre 1990 ne prévoit pas expressément.

Le mécanisme intrinsèque des sociétés de capitaux a été conservé intact dans les limites du respect de l'indépendance des professionnels et des impératifs déontologiques.

Cette volonté de conserver la spécificité de l'activité se manifeste dans la prise en compte des principes qui régissent l'exercice de la profession libérale, notamment un régime de responsabilité qui fait obstacle aux limitations des sociétés de capitaux et la pérennité de la subordination aux organisations professionnelles.

Les considérations déontologiques n'ont cependant pas influé sur le traitement fiscal des sociétés d'exercice libéral, alors que le régime social est à certains égards transformé.

La loi du 31 décembre 1990, n'a pas pris en compte les différences de l'activité libérale par rapport aux activités industrielles et commerciales pour adapter la fiscalité des sociétés de capitaux. Au niveau fiscal, les sociétés d'exercice libéral s'analysent comme de pures et simples sociétés de capitaux. Cette transposition sans adéquation est la source de problèmes qui, quoiqu'importants, ne sont pas insurmontables.

Néanmoins, l'absence de prise en compte de la spécificité de l'activité au regard de la fiscalité est étrange dans le cadre d'une loi dont l'objectif est d'instituer une société capable de faire face à la concurrence. La fiscalité est de nos jours un élément déterminant dans le choix d'un type de société. En outre, la fiscalité des sociétés de capitaux est très marquée par le type d'activité exercée comme par les mouvements de concentration économique. Ces caractéristiques ne se retrouvent pas dans les professions libérales qui, au contraire, restent empreintes d'une grande mobilité.

Le régime social des membres des sociétés d'exercice libéral est inévitablement influencé par les transformations juridiques des sociétés de capitaux ainsi que par l'activité. La création des sociétés d'exercice libéral va permettre aux associés d'exercer l'activité sous forme salariée, ce qui améliorera leur protection sociale.

En somme, les sociétés d'exercice libéral sont des structures complexes qui se distinguent des sociétés de capitaux au point de former à elles seules un nouveau type de société.

Leur régime juridique, relevant d'une volonté de compromis entre les impératifs du monde libéral et les exigences économiques, témoigne d'une grande originalité alors que les régimes social et fiscal auxquels elles sont soumises ne subissent que de subtiles modifications.

SOUS-PARTIE I - LA MISE EN PLACE D'UNE STRUCTURE PARADOXALE ISSUE D'UN COMPROMIS

La loi du 31 décembre 1990 institue trois nouvelles formes de sociétés dont l'objet est l'exercice des professions libérales. Ces trois sociétés qui empruntent les caractéristiques de sociétés de capitaux régies par les dispositions de la loi du 24 juillet 1966, traduisent une évolution significative de la conception des professions libérales.

Jusqu'alors, seuls des sociétés ou des groupements civils permettaient l'exercice des professions libérales. Dans le cadre de structures relativement réduites, ils se révélaient satisfaisants mais, n'étaient pas adaptés à une gestion de grande ampleur.

Avec les sociétés d'exercice libéral, les professionnels vont bénéficier de structures d'organisation sociale modernes, compétitives et adaptées à la concurrence, tant nationale qu'internationale.

Les avantages des sociétés de capitaux dans une économie de marché ne sont plus à rappeler. Ces sociétés répondent aux exigences du monde commercial ou plus généralement du monde des affaires. La dichotomie que connaît le droit français entre le droit applicable aux commerçants et celui des non commerçants allait poser des problèmes dans la réforme entreprise en 1990.

Les professionnels libéraux ne sont pas considérés comme des commerçants, malgré l'évolution sensible de la conception de leur activité et le législateur n'est pas revenu sur ce caractère civil. La loi du 31 décembre 1990 ne s'est donc pas limitée à permettre aux professions libérales de pouvoir créer des sociétés de capitaux (S.A.R.L., sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions), elle a mis en place des structures sociales véritablement nouvelles.

Les sociétés issues du texte de décembre 1990 ne répondent pas aux critères classiques des sociétés commerciales et des sociétés de capitaux.

La loi d'inspiration transactionnelle met en place des dispositions dérogatoires au droit des sociétés commerciales pour respecter l'identité des destinataires du texte, et aboutit à des solutions singulières.

L'originalité des sociétés d'exercice libéral se manifeste à deux égards. En premier lieu, le concept de société de capitaux est largement altéré par l'émergence d'un noyau dur d'actionnaires, d'une institution à l'intérieur de l'institution. En second lieu, le caractère commercial des sociétés de capitaux est remis en cause.

En somme, la loi du 31 décembre 1990, dans sa volonté de conserver aux professions libérales des privilèges acquis aux cours des siècles, institue une société hybride qui allie le modernisme de la société de capitaux et l'indépendance libérale. Dès lors le terme de "société libérale de capitaux" siérait mieux que celui de société d'exercice libéral qui ne rendent qu'imparfaitement l'esprit de la structure.

Chapitre I - L'inégalité de la possession des titres sociaux engendrée par le renforcement de l'intuitus personae

Les sociétés d'exercice libéral ont très vite été assimilées à des sociétés de capitaux, alors qu'elles ne peuvent se confondre avec elles. En effet, les sociétés de capitaux reposent traditionnellement sur des relations dominées par des considérations pécuniaires. Le capital absorbe la personne de l'associé, dont la qualité reste neutre, tant à l'égard de la constitution, que du but poursuivi par la société. En outre, les titres détenus par les associés sont librement cessibles. Les dispositions de la loi du 31 décembre 1990 contredisent ces principes fondamentaux de la société de capitaux. La nature juridique et le fonctionnement des sociétés d'exercice libéral, si une comparaison doit être faite, se rapproche plus des E.A.R.L.?

Le capital des sociétés d'exercice libéral répond à une hiérarchisation complexe qui est destinée à garantir l'indépendance de l'activité exercée face aux pressions financières extérieures. L'opposition qui domine la répartition des parts de la société entre professionnels en exercice et non professionnels, si elle est louable d'un point de vue déontologique, transforme radicalement la nature de la société. L'obligation de détention de la majorité des parts par des associés, répondant à des critères spécifiques, contrarie le principe de liberté d'entrée régissant les sociétés de capitaux. Pour les professions juridiques et judiciaires, le capital est strictement réservé aux professionnels, ce qui constitue presque l'antithèse de la société de capitaux. Il ressort dès lors que le capital est réparti intuitu personae en vertu de la loi.

Cette dissension entre la société d'exercice libéral et la société de capitaux se trouve renforcée par les restrictions apportées à la cessibilité des parts et par la nature des rapports qu'entretiennent les associés. Les relations qui ont cours au sein des sociétés d'exercice libéral sont semblables à celle des sociétés de personnes. L'intuitus personae domine toutes les situations de la vie interne de la société démontrant ainsi l'originalité de la nouvelle structure.

Néanmoins, la société d'exercice libéral se rapproche de la société de capitaux par les obligations auxquelles elle est astreinte en cours de vie sociale. En effet, la personnalité morale d'une société d'exercice libéral est soumise à la même fiscalité qu'une société de capitaux et surtout elles bénéficient, toutes deux, des mêmes droits et sont soumises aux mêmes obligations?.

Dès lors les manifestations de l'inégalité entre associés de société d'exercice libéral apparaissent principalement à deux égards: le contrôle financier et les prérogatives accordées à chacun d'eux.

Section I - Le financement de la société

La notion de financement, intimement liée à celle de contrôle, sous-tend la réforme entreprise par la loi de 1990.

Le contrôle, autrefois synonyme de surveillance des associés sur la gestion, a toujours été une pièce maîtresse du fonctionnement des sociétés. Cette acception était en outre, jusqu'alors, la seule reconnue par le droit commercial.

A cette dernière conception, s'est juxtaposée celle du contrôle-maîtrise? qui relève du fait, de l'économie, et traduit la pratique juridique.

Les sociétés ont reproduit des schémas que l'histoire connaissait et notamment, des structures de type féodale. Un associé puisant sa légitimité dans la propriété impose sa volonté aux autres actionnaires par l'intermédiaire de techniques juridiques diverses, reproduisant ainsi les liens de vassal à seigneur?.

Pour les sociétés dans lesquelles l'organisation et le fonctionnement sont basés sur des rapports purement patrimoniaux, la notion de contrôle-maîtrise prend une dimension particulièrement importante. A priori, elle bafoue le sacro-saint principe d'égalité entre actionnaires, clé de voûte de l'organisation des sociétés de capitaux. A priori seulement, car tout au contraire, cette pratique peut être considérée comme la résultante de ce principe égalitaire.

Mais alors que les tribunaux réglaient déjà des litiges concernant la maîtrise de la société, le législateur restait des plus sobres. Lorsqu'en 1990, le législateur autorise l'exercice des activités libérales sous forme de sociétés de capitaux, il va être contraint de reconnaître la notion de contrôle-maîtrise et d'en apprécier la juste valeur.

L'appréhension par le droit va s'articuler autour de deux axes: l'encadrement des comptes courants d'associés et la répartition du capital.

A cet égard, le législateur va institutionnaliser le concept de groupe d'associés. Les groupes d'associés ne seront plus distingués par rapport à un quelconque quantum de participation, mais par rapport à l'activité de leurs membres.

La détention du capital de la société d'exercice libéral engendre donc une inégalité entre associés.

La loi du 31 décembre 1990 permet de passer de l'Etat féodal à la société de l'Ancien Régime. Trois ordres aux prérogatives décroissantes se retrouvent au sein du capital de la société: les professionnels en exercice, les professionnels externes et les apporteurs capitalistes.

Paragraphe I - Les règles de détention des titres sociaux

La réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1990 a pour objet principal de permettre aux sociétés du secteur libéral de rassembler des capitaux autres que ceux apportés par les seuls praticiens.

Les craintes des professionnels de se voir assimiler à des commerçants, s'opposaient à un trop brusque rapprochement avec le monde commercial. Les sociétés libérales sont des entreprises de prestations de services intellectuels qui ne sauraient être considérées comme commerciales en raison de leur activité. Enfin, les règles déontologiques, inhérentes au monde libéral qui supposent un minimum d'esprit lucratif, interdisaient une pure et simple commercialisation.

La société à responsabilité limitée et les sociétés par actions avaient tout naturellement vocation à réaliser ce premier objectif, mais pour préserver les principes de libéralisme et de déontologie, le législateur a été contraint de hiérarchiser la communauté des associés en les scindant en deux catégories distinctes. Ainsi, en vertu de la loi du 31 décembre 1990, les professionnels en exercice au sein de la société disposent d'une part de capital qui leur est strictement réservée et qu'ils sont seuls à pouvoir détenir. La violation de cette disposition entraînerait l'annulation de la société.

Dès lors, les professionnels en exercice s'opposeront aux autres associés et se verront concéder la majorité absolue des parts sociales, les seconds se partageant les reliques de ce capital réservé.

A - Le cas des professionnels en exercice

L'activité libérale et le commerce, notions a priori antithétiques, rapprochées par la loi du 31 décembre 1990, influencent directement la répartition des parts sociales. Les considérations déontologiques intrinsèques à l'activité ont amené le législateur à mettre en place un système d'une grande complexité.

En effet, l'article 5 de la loi du 31 décembre 1990 hiérarchise la détention des parts sociales. En conséquence, deux principales catégories de participation s'opposent selon qu'elles ont un caractère obligatoire ou simplement facultatif.

1- Les participations obligatoires directes

La loi du 31 décembre 1990 énonce à? l'alinéa 1er de l'article 5 que, "plus de la moitié du capital social doit être détenu directement par des professionnels en exercice dans la société". Quoique lapidaire, cette disposition est riche de conséquences.

Si, le quantum minimum du capital social auquel il fait référence ne soulève aucune difficulté, il est toutefois bon de rappeler que 50% des parts plus une, réunies entre les mains des professionnels en exercice, suffisent à remplir cette condition et non 51%. Il ne s'agit toutefois que d'un minima, comme l'a rappelé une réponse ministérielle?. La société peut donc n'être constituée qu'entre praticiens.

Les professionnels en exercice visés par l'alinéa 1er de l'article 5, renvoient directement à la définition donnée à l'article premier: ces professionnels sont les membres de la profession libérale ou des professions libérales dont l'exercice constitue l'objet de la société, et qui l'exercent au sein même de celle-ci. Il y a donc une double condition à remplir pour être comptabilisé dans cette catégorie d'associé. Il faut certes, nécessairement exercer au sein de la société, mais surtout exercer la ou l'une des professions de l'objet de celle-ci?.

Le caractère directe de la participation a pour vocation d'écarter les personnes morales. Cette exclusion s'explique pour des raisons déontologiques, mais également, plus prosaïquement, pour un calcul aisé de la répartition du capital social. La détention via des personnes morales aurait permis, par des montages habiles, à des associés de détenir une partie du capital, initialement réservé aux professionnels en exercice, afin d'influer sur le fonctionnement de la société.

Néanmoins, ce principe d'ordre général subit une exception rendue nécessaire par l'admission du salariat. Les sociétés créées par les salariés pour le rachat de leur entreprise peuvent en effet, détenir des parts sociales normalement réservées aux praticiens?.

2- Les participations obligatoires indirectes

L'article 5 de la Loi, dans son alinéa 2-4° dispose qu'"une société constituée dans les conditions prévues à l'article 220 quater A du code général des impôts, si les membres de cette société exercent leur profession au sein d'une société d'exercice libéral" peut détenir le complément du capital défini par l'alinéa premier. L'alinéa premier permet par ailleurs aux professionnels en exercice de détenir le capital réservé par l'intermédiaire d'une telle société.

Cette double référence, à l'article 220 quater A du code général des impôts, qui permet la création d'une société holding dont le but est le rachat d'une entreprise par les salariés?, a été la source de maintes interrogations de la part des commentateurs, d'aucuns y virent même une erreur de plume. Or, il n'est rien de semblable. Le législateur qui ouvrit simultanément le monde libéral au capitalisme, même édulcoré, et au salariat, se devait de lui accorder la pratique du rachat de l'entreprise par les salariés. Mais, la création du capital réservé contredisait la pratique du R.E.S. Afin d'exercer un véritable contrôle, la société holding doit détenir au minimum 50% des droits de vote de la société rachetée. Le législateur a en conséquence permis à cette société de détenir la majorité du capital visé à l'article 5 al 1er et le complément visé à l'article 5 al 2.

Si cette dérogation permet l'application du R.E.S., la combinaison des dispositions de la loi du 30 décembre 1990 et des lois et décrets de 1987, en modifie néanmoins la pratique.

Les acteurs admis à participer au rachat

La conciliation des textes engendre tout d'abord une restriction du nombre de salariés auxquels s'adresse la restructuration. L'article 5 de la Loi, tant à l'alinéa 1er qu'à l'alinéa 2 - 4e, ne laisse aucune place à un salarié qui n'exercerait pas la profession libérale objet de la société, de participer au R.E.S. Les salariés visés sont ceux qui répondraient à la qualification de détenteurs privilégiés, s'ils possédaient des actions ou parts sociales. En d'autres termes, tout le personnel salarié d'une société d'exercice qui n'appartient pas à la sphère libérale ou qui se trouve employé comme professionnel voisin, sera exclu de la procédure.

La notion de salarié définie par la loi de 1987 doit s'entendre de manière stricte. Il s'agit d'une personne titulaire d'un contrat de travail passé avec la société cible. Le collaborateur ne pourra donc pas participer à la procédure de rachat à moins, de faire requalifier son contrat.

L'obligation posée par la loi du 31 décembre 1990 a pour autre conséquence importante, de priver le capital de la holding de tout investisseur étranger. Les organismes financiers qui ne disposeront, par conséquent, d'aucun moyen de contrôle direct sur la direction de la restructuration, auront tendance à se détourner de tels investissements. Effectivement, en France, la pratique du R.E.S. fait massivement appel à des participations financières qui complètent le capital social de la holding.

La nature juridique de la société holding

La société holding formée pour la rachat de la société d'exercice libéral devra se conformer aux prescriptions de la loi de 1987. Notamment, elle doit être soumise, à l'instar de l'entité rachetée, au régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés et avoir comme objet unique et exclusif son rachat.

L'exclusivité de son objet fait donc obstacle à ce que cette nouvelle société puisse exercer l'objet de la cible. Dans un rachat de société d'exercice libéral, les associés de la holding exercent leur activité directement, la société holding, tout comme la société d'exercice libéral restant transparentes. Pour ces raisons, si le rachat ne peut concerner qu'une société d'exercice libéral à forme commerciale, la loi 31 décembre 1990 n'ayant pas la vocation de rendre la pratique applicable aux autres formes sociales, même aux sociétés civiles professionnelles optant pour une imposition à l'impôt sur les sociétés, rien n'impose que la holding soit une société similaire à la cible. L'objet ne constituant pas l'exercice de l'activité des membres, son but tendant uniquement à permettre la détention indirecte du capital social de la société d'exercice, la holding peut revêtir toutes les formes sociétaires soumises au droit commun de l'impôt sur les sociétés. La pratique plébiscitera cependant les trois formes commerciales de société d'exercice libéral afin d'éviter toute contestation.

Le rapprochement des dispositions concernant le R.E.S. offre la possibilité à la société holding de détenir la totalité du capital social de la société d'exercice libéral. La polémique qui s'était développée au sujet de la création de sociétés d'exercice libéral sous forme unipersonnelle est aujourd'hui éteinte. La pratique a rattrapé la doctrine et des sociétés unipersonnelles d'exercice libéral ont été valablement constituées.

Les termes du débat sur le point de savoir si la société unipersonnelle pouvait être adoptée par les professionnels, s'articulaient autour de deux éléments purement juridiques: les partisans de la société unipersonnelle rappelaient que cette structure n'est qu'une catégorie de S.A.R.L. et faisait partie intégrante de la réforme ; au contraire leurs adversaires invoquaient les dispositions de l'article 1er al 2 qui dispose que la société a pour objet "l'exercice en commun de la profession", supposant ainsi la pluralité d'associés.

Il est donc juridiquement possible qu'une société de rachat soit l'unique détenteur des parts de la société. Les salariés veilleront toutefois à ce que la cible soit sous forme de SARL, ou à modifier, le cas échéant, les statuts. L'intérêt d'une semblable restructuration n'est cependant pas flagrant, une fusion des deux entités lui serait nettement préférable.

L'utilisation du R.E.S. est complexe mais, dans le cadre d'une entreprise libérale, elle peut être le moyen de faciliter la transmission des titres à des héritiers du chef d'entreprise, voire d'incorporer de jeunes professionnels au capital. A ce jour, aucune reprise d'entreprise ne s'est effectuée, en raison certainement du faible nombre de sociétés suffisamment importantes pour le permettre?.

Cette définition d'un capital réservé marque la volonté du législateur de préserver les caractéristiques essentielles chères aux professions libérales, mais cette démarche conduit à reconnaître un intuitu personae qui devrait être absent d'une société de capitaux. La pudeur du législateur lui a fait biffer ce terme, originellement présent dans le projet de loi, mais les formes sociétaires demeurent celles de pures sociétés de capitaux. L'ouverture au financement extérieur suit une semblable démarche, elle préfère aux investisseurs capitalistes des membres de la profession, accentuant encore le fossé qui sépare les trois nouvelles formes de leurs modèles.

B - Les capitaux extérieurs

La majorité des droits de vote et des parts du capital social est, dans les sociétés d'exercice libéral, réservée aux professionnels internes en exercice. Le complément de capital défini par l'article 5 al 2 et l'article 6, peut être détenu par deux catégories d'apporteurs: d'une part, des professionnels qui n'exercent pas au sein de la société, et d'autre part, des capitalistes externes au monde libéral.

Le particularisme de ces participations minoritaires réside dans leur caractère purement facultatif. L'article 5 n'ouvre qu'une possibilité aux participations extérieures, les professionnels ne sont donc tenus à aucune obligation en la matière et peuvent statutairement interdire tout financement externe. Cette interdiction ne trahirait d'ailleurs pas l'esprit de la loi, le financement externe n'étant qu'un de ses objectifs.

1- Les capitaux semi-extérieurs

L'alinéa 2 de l'article 5 distingue cinq catégories cumulatives ou alternatives d'associés possibles, dont il faut toutefois retrancher la société holding de rachat qui a déjà fait l'objet de cette étude. Les quatre types de participations minoritaires restantes sont à regrouper en deux grandes catégories. Le critère du distinguo est en l'occurrence l'exercice de l'activité; ainsi s'opposent les professionnels externes aux anciens membres de la société et aux ayants droit.

a-Les professionnels externes

L'article 5 al 1-1° dispose que "les personnes physiques ou morales exerçant la ou les professions constituant l'objet de la société" peuvent détenir le complément de capital. Il en va de même pour "les personnes exerçant soit l'une quelconque des professions libérales juridiques ou judiciaires, soit l'une quelconque des professions de santé, soit l'une quelconque des autres professions libérales, visées au premier alinéa de l'article premier, selon que l'exercice de l'une de ces professions constitue l'objet social".

Ces deux dispositions ouvrent le capital de la société à des types d'actionnaires qui, sans être similaires, sont très proches. On peut les définir en premier lieu, comme des professionnels concurrents et en second lieu, comme des professionnels voisins.

a-1 Les professionnels concurrents

Le premier type de capitaux extérieurs autorisé offre la possibilité de devenir associé aux professionnels qui exercent, l'activité constituant l'objet de la société d'exercice libéral, mais dans le cadre d'une autre structure. L'ouverture du capital permet aux internes de s'adjoindre des professionnels dont la position est complémentaire de ceux de la société. Deux grands axes sont à privilégier dans cette optique: une complémentarité de compétence et des alliances géographiques.

Les associés privilégiés d'une société d'exercice libéral pourront souhaiter ouvrir le capital à des spécialistes d'une branche de leur activité. De même, il peut se révéler profitable que des professionnels de régions différentes soient actionnaires externes dans différentes sociétés d'exercice libéral. Enfin, il est envisageable de concevoir des participations de praticiens étrangers, ou du moins membres de l'Union Européenne. Dans cette dernière hypothèse, il faut qu'il y ait, sinon une similitude des professions, du moins une compatibilité, une correspondance. Ni la loi, ni les décrets d'application n'interdisent la formation d'un capital international. On peut même légitimement se demander dans quelle mesure les textes auraient pu restreindre les participations aux seuls nationaux français. Au contraire, des accords bilatéraux ou multilatéraux permettent déjà à des professionnels de l'Union d'exercer dans les autres pays membres. Il est notamment loisible à un médecin allemand d'exercer son activité sur le territoire national sous forme de cabinet, à plus forte raison une simple participation lui est permise.

La question des participations de professionnels concurrents devient particulièrement topique lorsqu'est en cause une partie de l'autorité publique, dans le cadre de l'exercice des professions juridiques et judiciaires.

Mais, que les participations soient détenues par des professionnels étrangers ou français, elles permettront une gestion plus rationnelle des rapports entre les membres d'une même profession en superposant, aux accords consensuels et à la correspondance, un lien financier.

a-2 Les professionnels voisins

La participation minoritaire des professionnels voisins ne pourra s'effectuer qu'au sein d'une même famille de professions. En effet, la rédaction de l'article 5 al 2-5° ne laisse pas, a priori, penser que des professionnels de familles différentes puissent prendre des participations dans une société dont l'activité appartiendrait à une autre que la leur, tout au moins au titre d'apporteur professionnel. De plus, rien dans le projet de loi, ni dans les débats ne laisse supposer que des participations interprofessionnelles puissent être prises par le biais des dispositions de cet alinéa. Enfin, la pratique elle-même a, pour l'instant, délaissé cette possibilité, si bien qu'aucune solution n'est certaine?.

Si cette exclusion d'interprofessionnalité se déduit du texte malgré son manque de précision, que faut-il penser de l'emploi des termes "personnes exerçant" à l'article 5 al 2-5° ? En effet, une incertitude, même si elle peut n'apparaître que théorique, demeure: l'article 5 al 2-5° renvoie-t-il au 1° de l'article 5 al 2 ou doit-on l'interpréter de manière stricte ? En d'autres termes, les personnes morales et physiques, ou seules les personnes physiques, sont-elles admises à prendre part au capital en tant que professionnels voisins ? Deux indices incitent à plébisciter la première solution. D'une part, de pure forme, les deux propositions se trouvent liées dans un même alinéa ; on peut donc résolument admettre que les deux termes recouvrent la même notion, d'autre part le rapport produit par M. P. Marchant au cours des débats parlementaires fait mention de la possibilité, pour les professionnels de même famille, de participer au capital d'une société d'exercice libéral et que cette participation soit détenue par une personne morale. On peut par ailleurs, rappeler l'adage: "là ou la loi ne distingue pas il n'y a pas lieu de distinguer".

Dans un but de cohérence, il paraît naturel que personnes morale et physique soient traitées à l'identique et qu'ainsi il y ait parallélisme des deux dispositions ; ce qui s'inscrirait dans l'économie générale de la loi.

Enfin, la loi permet à deux autres groupes de personnes de détenir des titres sociaux sans avoir à exercer dans la société.

Les anciens professionnels et les ayants droit

Dans le but de permettre une transmission plus aisée de la société et d'établir un système qui ne pénalise pas les héritiers des professionnels décédés, comme c'est le cas avec d'autres structures, la loi met en place un régime spécifique dont le caractère essentiel est une durée limitée de détention.

Cette durée est largement conditionnée par la nature juridique du détenteur qui selon qu'il a exercé au sein de la société ou n'est que simple ayant droit, est divisée par deux. Les dispositions peuvent, dans certains cas, conduire à maintenir des parts sociales pendant un temps relativement important entre des mains qui ne sont pas ou plus préoccupées par l'expansion de la société.

b-1 Les participations des anciens professionnels

Selon l'article 5 al 2-2° "les personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé cette ou ces professions au sein de la société, peuvent détenir pendant un délai de dix ans le complément de capital social.

Les anciens associés qui ont exercé leur activité au sein de la société et qui se sont retirés vont bénéficier de cette disposition. Mais le texte ne semble pas se référer au seul cas des personnes physiques désignées par l'article 5 al 1er. L'exercice de la profession dans la société peut l'avoir été sous forme de salariat et non en tant qu'associé.

Dans cette hypothèse, on peut admettre qu'un salarié qui a cessé toute activité, non seulement au sein de la société, mais d'une manière générale, puisse acquérir des parts du capital. Par exemple, à son départ en retraite, un commissaire aux comptes pourrait, à condition d'avoir exercé son activité dans une société de commissaire aux comptes, acheter des actions ou parts de la société et les conserver pendant dix années. La loi n'apporte aucune restriction à cette faculté ni ne laisse le pouvoir réglementaire trancher.

L'esprit de la loi, en permettant cette détention par une personne qui n'a plus vocation à exercer, est de remédier à la nécessité dans les sociétés civiles professionnelles, pour les anciens professionnels et leurs héritiers, de céder leurs parts de manière quasi instantanée, ce qui aboutissait à de véritables spoliations. La Loi donne également la possibilité aux ayants droit de ces anciens professionnels de détenir leurs parts après leur décès, mais les conditions de détention ne sont pas similaires.

b-2 Les participations des ayants droit des professionnels

Le 3° de l'alinéa 2 dispose "que les ayants droit des anciens professionnels peuvent être détenteurs de parts sociales". Il s'agit là d'une disposition symétrique de celle concernant les anciens professionnels, et c'est de la détention de leurs parts qu'il s'agit. Contrairement à la disposition précédente la durée maximale n'est plus de dix, mais de cinq ans?.

L'issue de la période de cinq ans est confiée à la société puisque l'article 5 al 5, lui permet "nonobstant toute opposition, de réduire son capital du montant de la valeur nominale des parts ou actions et de les racheter à prix fixe, si les ayants droit des associés ou anciens associés ne les ont pas cédées". Cette disposition amène plusieurs remarques.

Elle ne vise que les ayants droit alors que son extension aux professionnels retirés, qui n'ont pas cédé leurs parts à l'échéance du délai de dix ans, serait logique.

Contrairement à la lettre de l'article 5 al 2-3° auquel il est fait référence, l'alinéa 5 mentionne certes les ayants droit des anciens professionnels, mais également ceux des associés. Le champ d'application de la disposition est donc plus vaste que celui défini de l'article 5 al 2-3° et l'alinéa 5 crée ainsi, ipso facto, un nouveau type d'associé dont il n'est fait aucune mention à l'article 5 al 2.
La réduction de capital n'est pas une obligation, la société n'est pas tenue de racheter les titres. A l'échéance du délai, les ayants droit, si la société ne désire pas les exclure, pourront devenir, le cas échéant, des professionnels associés. Ce mode de transmission de l'entreprise est néanmoins susceptible d'engendrer un certain népotisme, qui n'aurait pas été sans déplaire à Montesquieu. La participation des ayants droit pourra, s'ils sont incompétents à exercer l'activité de la société, se transformer en participation capitaliste, sous réserve des dispositions de l'article 6 de la loi.

Le capital peut effectivement être entre les mains de capitalistes étrangers, mais leur participation dans la société fait l'objet de mesures d'encadrement des plus sévères.

2- Les capitalistes étrangers au monde libéral

L'ouverture de capitaux extérieurs au monde des professions libérales a été au centre des discussions de la réforme. A la fois redoutée et souhaitée, cette intrusion du monde capitaliste est fermement encadrée par la loi et également par les décrets d'application. Il n'en reste pas moins que cette porte entrebâillée à l'investissement capitaliste constitue l'une des seules caractéristiques des sociétés de capitaux qui perdure, tout au moins pour deux des trois familles de professions.

Dans une volonté de concilier les craintes et aspirations de tous, le législateur s'est résigné à accorder un statut dérogatoire aux professions judiciaires et juridiques. Pour les deux autres familles libérales, les investissements capitalistes ne sont autorisés que sous une double condition quantitative et d'opportunité.

Le quantum maximum

L'article 6 al 1er fixe le plafond de détention pour les non professionnels au quart du capital social. La détermination de ce plafond fait référence aux taux pratiqués par les professions déjà autorisées à faire appel à des capitaux extérieurs, notamment les experts-comptables.

La loi permet l'élargissement des participations dans le cadre d'exercice sous forme de société en commandite par actions, la quotité d'investissement pouvant être "supérieure au quart tout en demeurant inférieure à la moitié du capital". Cette dérogation au profit de la société en commandite s'explique par la présence en son sein de deux catégories d'associés dont les commandités qui détiennent l'essentiel du pouvoir et ne peuvent être que des professionnels. Cette spécificité de la commandite lui vaut un traitement particulier et largement privilégié.

L'opportunité des participations capitalistes

L'article 6 in fine exclut toute possibilité aux sociétés constituées pour l'exercice d'une profession judiciaire ou juridique d'ouvrir son capital à d'autres personnes que celles définies à l'article 5. Cette interdiction est unique et insolite par sa généralité et par son origine. La procédure ordinaire pour restreindre les participations comportant des risques déontologiques importants a été confiée au pouvoir réglementaire par décrets en Conseil d'Etat.

L'interdiction totale de l'article 6 dernier alinéa est de nature à nuire aux professions concernées notamment en limitant les possibilités d'installation des jeunes professionnels, puisqu'interdisant tout apport familial. Le frein pour les grandes structures qui ne pourront intégrer des investisseurs afin de trouver des sources rapides de financement, se révélera difficile à contourner, pour un supplément de protection déontologique bien dérisoire?. Heureusement, les immobilisations nécessaires à l'exercice de l'activité judiciaire et juridique sont moindres que dans les deux autres familles libérales.

L'ouverture du capital aux investissements étrangers n'est qu'une faculté laissée à l'appréciation du pouvoir réglementaire par l'article 6 alinéa 1er de la Loi, en fonction des caractéristiques intrinsèques de chaque profession. Or, si tous les décrets ont autorisé les participations capitalistes, certains les limitent afin d'éviter toute tentation et tout risque de dérive déontologique. Deux décrets sont particulièrement pertinents à cet égard ; il s'agit du texte relatif à l'exercice de la profession de sage-femme? qui s'oppose à la participation des entreprises d'assurance et de capitalisation, et du texte relatif à l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste? qui interdit la présence de pharmaciens et de médecins.

Comme le montre ces décrets, les risques d'associations répréhensibles d'un point de vue déontologique ne résultent pas forcément de participations capitalistes. A cet égard et pour assurer une garantie optimale de la déontologie, les dispositions des articles 5 et 6 ne peuvent bénéficier à des professionnels interdits d'exercice?. Enfin, si le capital social venait à n'être plus conforme aux prescriptions légales, tout intéressé pourrait demander la dissolution de la société.

La création de ce capital, réservé aux professionnels, les règles strictes qui entourent sa détention, démarquent les sociétés d'exercice libéral des sociétés de capitaux traditionnelles et manifestent la volonté de conférer aux praticiens un pouvoir quasi absolu sur le financement et la destinée de la société. Or, dans les sociétés commerciales, la répartition du capital social n'est pas toujours le gage d'un contrôle parfait de l'entreprise. Les flux financiers qu'engendrent les comptes courants d'associés viennent souvent distordre les agencements institutionnels.

Paragraphe II - Les Comptes courants d'associés

A côté des apports qui sont soumis à une réglementation stricte, la source majeure de financement de l'entreprise se trouve dans les avances consenties par les associés à la société. Ces avances, que l'on désigne sous le terme de comptes courants d'associés, font l'objet d'une réglementation des plus succinctes.

A l'évidence, l'argent déposé sur ces comptes pouvait constituer un danger et remettre en cause la liberté des associés et par conséquent fragiliser les règles déontologiques. La loi du 31 décembre 1990 met donc en place un régime spécifique aux comptes courants d'associés qui, bien que laconique, fait entrer pour la première fois ce concept dans le droit commercial.

Il est intéressant de noter qu'un texte, qui participe de la tendance à la déréglementation du droit commercial, fixe un statut sur les comptes courants d'associés.

A - Définition et objet des C.C.A.

Le compte courant d'associé a la particularité de faire cohabiter deux qualités antagonistes, celle de créancier et celle d'associé. Afin d'augmenter la marge de manoeuvre financière de l'entreprise les associés peuvent lui consentir des avances en plus de leurs parts sociales. Ces avances, désignées par le terme de comptes courants d'associés, se définissent comme une source de financement extra bancaire. Elles constituent une pratique répandue notamment dans les P.M.E., mais aussi dans les groupes de sociétés.

Juridiquement, les sommes versées sur les comptes courants d'associés sont considérées comme des prêts productifs d'intérêts. Ils sont fournis par des versements de fonds dans les caisses de la société ou, plus généralement, par le maintien à la disposition de la société de sommes qu'elle doit distribuer aux associés ou actionnaires. Ainsi, l'avance consentie, l'associé ajoute à sa qualité celle de créancier social. "Dès lors, les rapports juridiques qu'il entretient, à ce titre, avec la société doivent être soigneusement distingués de ceux qui sont liés à sa qualité d'associé"?.
Avant de montrer en quoi les comptes courants d'associés peuvent se révéler nuisibles à une saine administration de la société, il faut rappeler brièvement leurs avantages et emplois habituels.

1- Un régulateur du financement

Marqué par une liberté contractuelle quasi-totale, le compte courant d'associé est un instrument de financement polyvalent qui répond non seulement aux impondérables, mais peut encore s'analyser comme un régulateur privilégié de la gestion de la société.

L'usage périodique du C.C.A.

L'ouverture d'un compte va correspondre, dans cette hypothèse, à un besoin en fonds de roulement qui ne peut ou ne doit pas être obtenu par les voies classiques de l'apport ou du crédit bancaire. Le compte courant d'associé se rapproche, dans cette perspective, du compte d'exploitation. Il répond à une obligation comptable passagère. Cette situation se retrouve notamment dans de petites entreprises qui contournent de trop rigides dispositions du droit commercial par l'usage de ce mécanisme financier.

Dans d'autres cas, l'ouverture d'un compte courant correspond à une réelle exigence financière, il est alors le seul moyen d'obtenir rapidement du crédit quand les concours bancaires se sont taris. Cette pratique a nettement contribué à renforcer la mauvaise image du compte courant d'associé. La double qualité d'associé et de créancier social peut permettre de récupérer des fonds en concurrence, voire en primant les créanciers sociaux extérieurs en cas de liquidation judiciaire.

Mais, dans une utilisation raisonnable, le compte courant d'associé peut jouer une double fonction de financement et d'indicateur. Tout d'abord, il permet la mise à disposition des fonds nécessaires de manière rapide et gratuite pour une durée variable. Ensuite, il contribue à rassurer les associés non dirigeants et les tiers créanciers sur la pérennité de l'entreprise.
A cette utilisation ponctuelle, s'oppose l'intégration du mécanisme à la vie sociétaire.

Le C.C.A. instrument permanent de gestion

Par sa souplesse, le compte courant d'associé est l'instrument idéal pour établir une concordance entre les besoins de financement variables aux différentes époques de la vie de l'entreprise et ses capitaux propres. Ainsi, peut-on dégager trois grandes phases de la vie sociale au cours desquelles le compte courant d'associé montre toute sa valeur.

A sa création, la société doit faire face à des dépenses importantes et elle ne peut compter que sur des fonds étrangers à l'exploitation, seul le recours aux comptes courants est alors à même d'assurer une stabilité financière.

En phase de croissance, le compte courant d'associé joue un rôle moindre, les besoins étant couverts par l'autofinancement. Cependant, en se substituant au crédit bancaire, il présente un avantage évident de souplesse et de coût.

En cas de crise, il retrouve toute son importance, notamment en phase de restructuration ou de relance de l'activité, lorsque les besoins en argent frais sont essentiels et les concours bancaires font défaut.

En pratique, les dégradations d'exploitation se traduisent par l'accroissement des soldes créditeurs des comptes courants d'associés, et ce, en vue de maintenir une trésorerie positive par le non encaissement des charges. Si la situation le permet, ces sommes sont bloquées pour s'assurer un soutien bancaire ou, décision plus draconienne, sont incorporées au capital social.

Le compte courant d'associé constituerait la panacée financière s'il ne connaissait deux importants travers induits par la nature juridique de son titulaire. La réunion de la qualité d'associé et de créancier social est de nature à engendrer des situations ambiguës susceptibles d'entraîner des modifications dans le contrôle de la société et de favoriser la fraude.

2- La fraude et le contrôle occulte via le C.C.A.

Au sein des P.M.E. où le compte courant d'associé tient une place prépondérante, la réunion de ces qualités est favorable à la confusion des patrimoines des deux personnalités juridiques en présence. Le professionnel sera tenté d'utiliser des biens d'actif à des fins personnelles. La jurisprudence se montre particulièrement sévère et vigilante à cet égard. Les sociétés d'exercice libéral devraient cependant limiter la tendance aux délits d'abus de biens sociaux, la nature de société de prestations de services intellectuels se prêtant plus difficilement à ce genre de fraude que les sociétés industrielles ou commerciales.

Mais, la fraude n'a pas été le point essentiel qui a donné lieu à la réglementation des comptes courants d'associés. Son origine est à rechercher dans la possibilité, par le biais du compte, de renverser le contrôle institutionnel de la société et de privilégier un associé au détriment d'un autre. La confusion des qualités de créancier social et d'associé engendre une modification des rapports au sein de la société. En effet, le compte courant d'associé, par ses caractéristiques, crée de nouvelles clés de répartition du pouvoir. Cette répartition, qui est occulte, entre directement en compétition avec celle issue du capital.

L'associé créancier? va, par l'intermédiaire de la menace de retrait de ses avances du compte, bénéficier d'un levier important sur les destinées de l'entreprise sans rapport avec sa quote-part de capital. Or, dans une société de capitaux, la règle demeure l'égalité entre associés. Dans la pratique cependant, le pouvoir est conféré par l'intermédiaire de rapports juridiques divers, pactes d'actionnaires, clauses d'agrément notamment, à des actionnaires dits controlaires qui s'opposent à des actionnaires passifs, les bailleurs de fonds. Mais, à la différence de ces liens consensuels, l'utilisation pernicieuse des comptes courants d'associés fait naître un rapport de pure force, basé sur l'argent. La menace de retrait abusif d'avances peut faire peser sur la société, selon les sommes en jeu, jusqu'au spectre de la dissolution.

Cette utilisation qui, dans les sociétés de capitaux classiques est des plus controversée, devient intolérable dans les sociétés intuitu personae. Dans les sociétés d'exercice libéral, l'usage perfide des comptes courants d'associés conduit à réintroduire de fait une égalité entre associés, voire à transférer le pouvoir sur la société aux non professionnels.

Le législateur s'est donc efforcé de mettre en place les verrous nécessaires afin d'assainir la pratique des comptes courants.

B - L'appréhension par le droit commercial du concept de C.C.A.

L'article 14 de la loi No 90-1258 du 31 décembre 1990 dispose qu'un décret en Conseil d'Etat doit réglementer les comptes d'associés et fixer, notamment le montant maximum des sommes susceptibles d'être mises à la disposition de la société . La réglementation a vocation à s'appliquer à toutes les professions libérales mais pourra être discriminatoire selon la forme de la société, son caractère mono- ou pluriprofessionnel, et selon les catégories d'associés concernées.

Cette latitude laissée au décret, pour établir la réglementation des comptes courants d'associés, avait inquiété les commentateurs sur la pléthore de dispositions à mettre en oeuvre, certains calculèrent même que 540 statuts distincts étaient possibles.

Or, il n'en est rien. Le décret d'application No 92-704 du 23 juillet 1992? pris pour l'application de l'article 14 de la loi, fait preuve de la plus grande concision, et ne comporte qu'un seul article. La réglementation s'articule autour de deux points qui manifestent du souci de protection de l'indépendance des professionnels en exercice: un plafonnement des sommes et un formalisme de retrait.

1- La limitation du montant des avances

Le montant des avances fait l'objet d'une double limitation: l'une en fonction de la catégorie d'associés concernés, l'autre statutaire. A cet effet, l'article premier du décret du 23 juillet 1992 précise que "les associés exerçant leur profession au sein de la société ainsi que leurs ayants droit devenus associés conformément aux dispositions de l'article 5 al 2-5e de la loi du 31 décembre 1990, peuvent mettre à la disposition de la société, au titre de comptes courants d'associés, des sommes dont le montant est fixé par les statuts et ne pouvant excéder deux fois celui de leur participation au capital". Les autres associés, quant à eux, ne pourront, sous réserve des dispositions statutaires, mettre à disposition de la société qu'un montant égal à leur participation.

a-Les discriminations intuitu personae

Cette disposition, qui favorise les avances des professionnels en exercice au sein de la société, est dans la logique de la consécration d'un capital réservé. Afin de maintenir le pouvoir et la moralité entre les mêmes mains, le législateur accorde aux associés professionnels le privilège d'avancer à hauteur de deux fois leurs apports, des sommes sur des comptes courants d'associés.

Il y a concentration des moyens de financement au profit des seules personnes qui ont vocation à ce que l'entreprise ne soit pas, à l'instar des sociétés de capitaux classiques, un simple instrument capitaliste.

Le plafond, fixé par rapport à la participation, a en outre la faculté de raisonner l'emploi du compte courant d'associé et de ne pas entraîner l'associé créancier dans une spirale sans fin, accordant des sommes excessives à une société irrémédiablement compromise.

L'élargissement aux ayants droit s'entend de manière restrictive. Il ne vise pas tant à permettre des avances supplémentaires qu'à ne pas contraindre la société à rembourser des sommes qui excéderaient le plafond des associés ordinaires. La réglementation des comptes courants d'associés traitée de façon similaire à la répartition du capital, les associés communs se voient cantonnés à l'arrière plan.

Cette seconde catégorie, plus vaste que la précédente regroupe toutes les personnes susceptibles de participer au capital de la société. On retrouve, tout naturellement, les professionnels concurrents et voisins?, les anciens professionnels et les capitalistes et bailleurs de fonds. Afin de leur permettre de participer au développement de la société, sans toutefois ouvrir les portes du contrôle, le législateur ne permet que des avances limitées au montant de leur participation.

L'emploi des C.C.A., une faculté statutaire

Les quotités exprimées dans l'article premier du décret sont de simples plafonds. Les statuts peuvent donc exclure la création des comptes courants d'associés. Cependant, il ne serait pas judicieux qu'une société se prive d'un moyen souple et rapide de financement. La disposition n'est pas irrémédiable, mais la révision des statuts priverait le mécanisme du compte courant d'associé de son efficacité.

Les statuts peuvent également restreindre ou interdire les avances d'une catégorie d'associés. Ainsi, suivant une volonté de moralisation, les professionnels en exercice se réserveront le seul bénéfice de ces comptes. Au contraire, l'exclusivité réservée aux capitalistes sera de nature à encourager leurs investissements en réintroduisant un semblant d'égalité.

Mais, les dispositions sur le retrait des sommes déposées sur le compte restreignent les possibilités de déviance du système.

2- Le formalisme de retrait

Par habilitation de la loi, l'alinéa 2d de l'article premier du décret du 23 juillet 1992 régit les modalités de remboursement des sommes par la société.

Plus exactement, il édicte les conditions nécessaires à la validité du retrait, par les créanciers, des avances consenties. Si les conditions de forme demeurent similaires à l'ensemble des associés, les délais, quant à eux, reprennent la dichotomie déjà rencontrée.

L'avis de retrait, de la totalité ou d'une fraction des sommes en compte, devra se faire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Toute autre forme de notification entacherait de nullité la reprise des avances . Le préavis de retrait est fixé librement par les statuts, dans les limites fixées par le décret: six mois minimum pour les professionnels internes et les ayants droit définis à l'article 5 al 2-3° ; un an pour les autres associés. Le décret ne dispose d'aucune sanction en cas de retraits abusifs, les dispositions statutaires doivent, par conséquent, prévoir des mesures dissuasives appropriées.

La réglementation spécifique aux comptes courants d'associés des sociétés d'exercice libéral, s'inspire des dispositions de droit fiscal dont la préoccupation majeure comme le rappelle A. Couret "consiste à contenir leur développement dans des proportions compatibles avec le volume du capital social"?. De plus, en instituant une durée minimale de mise à disposition, la nature des avances se rapproche de celle d'apports complémentaires, contribuant ainsi à améliorer la gestion financière de la société.

Section II - Les acteurs sociaux

Le contrôle des flux financiers se complète d'une maîtrise quasi absolue de la direction de la société.

Afin d'éviter que par des moyens juridiques les associés dissocient la maîtrise administrative de la société de la détention du capital, la loi réserve aux professionnels en exercice les organes de contrôle et de direction. Pour certaines décisions les associés non professionnels seront même tenus à l'écart des délibérations.

Si l'intuitus personae joue un rôle primordial dans la répartition des prérogatives administratives entre les diverses classes d'associés, il est aussi le fondement des relations entre professionnels.

C'est en effet en considération des relations nécessairement étroites qui unissent les professionnels libéraux, pratiquant au sein de groupements, que ceux-ci pourront expulser de la société un de leurs pairs.

En conséquence, si la société d'exercice libéral peut à l'égard des professionnels être considérée d'un point de vue strictement financier comme une véritable société de capitaux, puisque tout professionnel qui a vocation à exercer au sein de la société peut acquérir des parts ou actions sans aucune restriction légale, la nature des relations de ces mêmes professionnels est semblable à celle des sociétés de personnes constituées intuitu personae.

Paragraphe I - Les dirigeants des S.E.L.

Le contrôle financier de la société étant dévolu aux professionnels exerçant leur activité au sein de la société, le législateur ne pouvait leur accorder que de semblables privilèges en matière d'administration. A cet égard, les possibilités offertes aux non professionnels sont restreintes à l'extrême, de telle sorte que les sociétés d'exercice libéral apparaissent comme des structures des plus fermées. Il serait d'ailleurs préférable de parler de cogestion de l'entreprise par les associés subséquents, que de véritable participation aux décisions politiques de l'entreprise. Les non professionnels se trouvent dans une situation voisine de celle des actionnaires de commandite par actions. Leur marge de manoeuvre est réduite à sa plus simple expression, ils ne sont que de simples apporteurs de fonds.

La mise à l'écart des non professionnels est particulièrement sensible en matière de dévolution de postes de gestion ainsi qu'en ce qui concerne l'exercice du droit de vote.

A - Les conditions nécessaires pour la direction de la société

Les formes sociales qui permettent l'exercice de l'activité libérale restent soumises au droit commun des sociétés commerciales. La loi du 31 décembre 1990 n'est à l'égard de l'organisation de la société que dérogatoire, elle se contente d'accorder les dispositions de la loi du 24 juillet 1966 aux exigences nées de la hiérarchisation des détenteurs du capital social. Ainsi, calquant la maîtrise politique sur la maîtrise financière, les professionnels en exercice vont bénéficier de la majorité des prérogatives au détriment des associés de second rang.

Mais des trois formes sociétaires autorisées pour la création de sociétés d'exercice libéral, la commandite par actions subit les aménagements les plus importants.

1- Le choix des dirigeants dans les S.E.L.A.F.A. et les S.E.L.A.R.L.

L'article 12 al 1er de la loi du 31 décembre 1990 restreint le choix de nomination des dirigeants. En effet, il dispose qu'un nombre minimum de dirigeants doit impérativement être issu des associés exerçant leur profession au sein de la société. Comme en matière financière, les associés non professionnels se trouvent écartés du pouvoir.

Le président du conseil d'administration, le président du conseil de surveillance, l'ensemble des membres du directoire et les directeurs généraux pour les S.E.L.A.F.A. et les gérants pour les S.A.R.L. doivent donc obligatoirement être des professionnels en exercice.

Les actionnaires qui ne font pas partie de l'ordre privilégié, peuvent cependant participer à la gestion de l'entreprise via le conseil de surveillance ou le conseil d'administration. Cette faculté n'est ouverte que pour le tiers des places de ces deux organes. Cette disposition, à l'instar des participations étrangères, doit s'interpréter comme une simple faculté. En d'autres termes, les statuts de la société peuvent fermer les organes collégiaux aux non professionnels.

Dans ces deux formes sociales, la ségrégation fondée sur la nature de l'activité, qui avait abouti à une classification des apporteurs, se trouve confortée par l'exclusivité du pouvoir administratif accordé aux professionnels en exercice.

Mais à ces deux types de sociétés, il faut ajouter la société en commandite. Cette société qui peut-être mieux que d'autres favorise la collaboration du capital et du travail, déroge plus au droit commun que les deux précédentes?.

2- Le cas particulier de la S.E.L.C.A.

Les aménagements de la commandite par actions marquent une volonté de privilégier cette structure qui cependant n'est pas exempte de tout vice. En effet, si la distinction des commandités et des commanditaires permet d'éviter toute ingérence des capitalistes extérieurs, la S.E.L.C.A. risque de se révéler d'une grande lourdeur de fonctionnement.? L'article 13 de la loi du 31 décembre 1990, réorganise la société en commandite par actions afin de l'adapter aux besoins des professionnels. Seules peuvent accéder à la qualité d'associés commandités des personnes physiques exerçant régulièrement leur profession au sein de la société. En cours de vie sociale, la qualité d'associé commandité est soumise à une décision d'agrément prise à l'unanimité des associés commandités et à la majorité des deux tiers des actionnaires commanditaires. Cette décision d'agrément peut également résulter de la signature des statuts.

Les associés commandités seront dans ces conditions des professionnels internes répondant aux exigences de l'article 5 al 1er qui, de surcroît, pratiquent au sein de la société de manière quasi exclusive et permanente. Le caractère de société constituée intuitu personae, des commandites s'en trouve renforcé.

Afin d'éviter tout hiatus, la qualité de commerçant est retirée aux commandités ce qui par ailleurs va avoir des conséquences sur leur régime de responsabilité?.

Les actionnaires commanditaires, qui peuvent détenir jusqu'à 50 % du capital, moins une part, sont étroitement contrôlés par les associés commandités. Leur entrée dans le capital, ainsi que la cession de leurs titres, doivent recevoir l'agrément des deux tiers des commandités. Cette disposition est de nature à accentuer encore la tendance de "piège à capitaux" que constitue ce type de société?.

Tendance qui se trouve confortée par l'interdiction totale d'immixtion dans la gestion, tant externe qu'interne, de la société par les actionnaires posée par les dispositions de l'article 13 al 3 de la loi du 31 décembre 1990.

Dès lors la S.E.L.C.A. apparaît comme une société très verrouillée, où les associés non professionnels peuvent cependant, exercer un contrôle sur l'accès à la qualité de commandité. Cette possibilité de faire échec à l'entrée d'un nouveau commandité illustre la surveillance des actionnaires sur l'utilisation du pouvoir administratif et de gestion exercé par les associés commandités. Les nécessités déontologiques s'opposent à ce que les commandités acquièrent un quelconque contrôle sur la vie de la société, mais il faut cependant qu'ils gardent un droit de veto contre une entrée inopportune au sein des organes de direction.

L'omniprésence des professionnels en exercice au sein des organes de gestion et des postes de direction, s'accompagne de domaines réservés d'exercice de ces compétences.

B - Un mode décisionnel spécifique

Les dispositions de l'article 5 al 1er de la loi du 31 décembre 1990, en octroyant plus de la moitié des droits de vote aux professionnels, transforment le processus décisionnel. Le but recherché est de réserver aux associés professionnels la maîtrise des décisions sociales et la conduite des affaires. Toutefois, cette maîtrise n'est pas totale puisque, pour les révisions statutaires notamment, une majorité qualifiée est imposée par la loi du 24 juillet 1966.

La conséquence indirecte de cette disposition est d'accroître l'antagonisme qui caractérise la formation du capital des sociétés d'exercice libéral.

Pour satisfaire des règles déontologiques, les professionnels internes disposent du contrôle financier et du pouvoir politique. Cet absolutisme est renforcé par des compétences exclusives dans deux domaines spécifiques: il s'agit des décisions en matière d'agrément de cessions de parts sociales et en matière d'autorisation de convention.

1- L'agrément donné au cédant

La procédure d'agrément prévue par la loi du 31 décembre 1990 déroge doublement au droit commun qui reste cependant applicable dans ses autres dispositions. Le mécanisme de l'agrément diffère selon le type de société qui est concerné et il faut opérer une distinction entre les formes par actions S.E.L.A.F.A., S.E.L.C.A. et les S.E.L.A.R.L. Dans les premières la dérogation s'attache au domaine de l'agrément et à ses conditions d'octroi, alors que pour la seconde seule la procédure est remaniée.

Selon l'article 10 al 1er de la loi du 31 décembre 1990, les conditions de majorité dans lesquelles est donné l'agrément dans les S.A.R.L., sont modifiées. La S.A.R.L. s'apparentant à la fois aux sociétés de personnes et aux sociétés de capitaux, a un capital divisé en parts sociales non négociables et dont la cessibilité est réglementée par les articles 44 et suivants de la loi du 24 juillet 1966. Les parts, conformément aux dispositions de l'article 45 ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant les trois quarts au moins des parts sociales. A cette double majorité de l'article 45, la loi du 31 décembre 1990 substitue celle des " trois quarts des porteurs de parts exerçant la profession au sein de la société". Ipso facto, les associés qui ne remplissent pas ces deux conditions ne peuvent prendre part au vote sur l'agrément des cessionnaires. Cette exclusion frappe tous les associés externes même lorsque la décision porte sur la cession de leurs parts sociales. Aussi sévère que soit cette disposition, elle est encore renforcée dans les sociétés par actions.

La décision d'agrément dans les sociétés d'exercice libéral par actions voit son champ d'application sensiblement élargi?. Alors que l'article 45 de la loi du 24 juillet 1966 modifié par la loi du 31 décembre 1990 ne vise que les cessions faites à des "tiers à la société", il semble que les dispositions de l'article 10 al 2 englobent toutes les cessions d'actions. L'alinéa deuxième, contrairement à l'alinéa premier, n'a pas pour objet de remanier un article de la loi du 24 juillet 1966, mais bien de créer une disposition nouvelle. Dès lors, il n'y a plus à distinguer ni entre les cessions faites à un tiers extérieur à la société ou à un actionnaire, ni celles effectuées à titre gratuit ou onéreux. Le terme de cession doit être pris dans un sens large et s'entendre de tout transfert de propriété quel que soit son mode et ses auteurs. Cette mesure a des objectifs semblables aux dispositions régissant les comptes courants d'associés. Elle vise à éviter que des investisseurs ou des actionnaires minoritaires utilisent la cession de leurs titres comme moyen de pression sur la direction de la société.

Les statuts des sociétés d'exercice libéral par actions peuvent choisir entre deux procédures différentes qui ont en commun l'exclusion de tout non professionnel.

L'agrément est ainsi octroyé au cessionnaire soit à la majorité des deux tiers des seuls actionnaires exerçant la profession, soit à la majorité des deux tiers des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance exerçant au sein de la société. Les membres des deux organes d'administration qui ne seraient pas des professionnels en exercice se verraient donc écartés du vote d'agrément.

Dans les S.E.L.C.A. l'agrément procède des mêmes dispositions, mais il est précisé que seuls les associés commanditaires participent au vote, ce qui constitue une décision similaire à celle prévue dans les S.E.L.A.F.A.

Cette mise à l'écart des associés extérieurs en matière d'agrément de cession de parts sociales connaît un prolongement à l'égard des diverses procédures d'autorisation applicables aux conventions conclues entre la société et l'un de ses dirigeants.

2- Les décisions autorisant les conventions intervenant entre la société et l'un de ses dirigeants

Le principe posé par l'article 12 al 3 de la loi du 31 décembre 1990 s'inscrit dans la continuité des dispositions relatives à la procédure d'agrément du cessionnaire. Les associés professionnels en exercice sont les seuls habilités à participer aux délibérations autorisant les conventions passées entre un dirigeant et la société quand ces conventions portent sur les conditions dans lesquelles ils exercent leur profession.

Cette règle entraîne un double régime d'autorisation des conventions passées entre un dirigeant et la société selon que celles-ci concernent ou non l'exercice de la profession. Dans le second cas en effet, tous les associés seront amenés à prendre part aux délibérations dans les conditions prévues par la loi du 24 juillet 1966.

Comme le signale M. Michel Jeantin?, la distinction entre une convention qui est de nature à influer sur les conditions d'exercice et celle qui reste neutre, est plus qu'intangible et sera sans nul doute à la base d'une jurisprudence florissante.

Ce double régime d'autorisation mis à part, le droit commun des conventions conclues entre dirigeants et sociétés s'applique dans toutes ses autres dispositions.

Les dispositions tant en matière d'agrément de cession de parts que d'autorisation de conventions sont d'ordre public de telle sorte que les statuts ne pourraient prévoir des conditions de majorité différentes.

Le contrôle administratif de la société est largement confié aux professionnels en exercice et confirme la volonté de les préserver de toute atteinte extérieure en leur accordant un statut largement privilégié, exorbitant du droit commun des sociétés commerciales. Mais corrélativement à la montée de ce protectionnisme, les caractéristiques classiques de la société de capitaux s'amenuisent. Déjà réduite par la création d'une véritable société dans la société, la nature de société de capitaux telle qu'elle se conçoit habituellement recule encore face au statut particulier accordé aux associés des sociétés d'exercice libéral.

Paragraphe II - Les associés des S.E.L.

Tant au niveau financier qu'au niveau politique, la stratification des associés s'est faite en fonction de leur qualité, introduisant une relation intuitu personae normalement étrangère dans la majorité des sociétés de capitaux. Cette entorse faite au principe d'égalité entre associés trouve son fondement dans la volonté d'écarter tout risque déontologique. Elle est également l'expression plus ou moins consciente de la volonté des professionnels de garder leurs distances avec le monde mercantile. Le refus d'accorder la qualité de commerçants aux associés en est une des preuves les plus flagrantes.

Deux dispositions de la loi du 31 décembre 1990 vont à l'encontre du mécanisme de la société de capitaux, pour des raisons indépendantes de toutes conceptions déontologiques. Il s'agit du recours à la clause compromissoire et de l'exclusion volontaire d'un associé.

A - Les relations entre associés au sein de la société

Pour permettre un règlement rapide et discret des conflits, la loi du 31 juillet 1990 autorise l'insertion de clauses compromissoires dans les statuts. L'article 15 alinéa 3 dispose à cet égard que "les associés pourront convenir de soumettre à des arbitres les contestations qui surviendraient entre eux pour raison de leur société ».

Avant de s'attacher à la mise en oeuvre et au champ d'application de ces clauses, il faut revenir sur l'originalité que représente leur admission.

1- Le fondement de la disposition

A priori, la possibilité de recourir à une clause compromissoire dans une société à forme commerciale n'a rien de particulièrement singulier. Mais, faut-il le rappeler, les sociétés d'exercice libéral ne sont pas des sociétés commerciales ordinaires. La prédominance de l'objet civil sur la forme commerciale de la société et l'activité libérale des associés auraient dû conduire à faire échec à l'utilisation de cette clause. En effet, les clauses compromissoires en matière civile sont, en principe, réputées non écrites. Le législateur les a pourtant expressément autorisées. Cette disposition est d'autant plus originale que l'article 15 al 1er qui institue l'article 631-1 du code de commerce réserve aux tribunaux civils la compétence exclusive pour connaître des actions en justice dans lesquelles l'une des parties est une société d'exercice libéral?.

L'admission de la légalité des clauses compromissoires n'a pas pour but la cohérence juridique, le principe de primauté de la forme sur le fond est battu en brèche tout au long de la loi, mais est autorisée en considération de ses futurs utilisateurs. Les associés qui ont vocation à recourir à l'arbitrage ne sont pas tant les capitalistes externes que les professionnels en exercice. Privés de cette possibilité, dans les sociétés civiles, ils n'avaient de cesse de réclamer sa validité, suivis en cela par une jurisprudence minoritaire?.

L'origine de la disposition se trouve dans l'opportunité que représente la réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1990. Dans une optique de bonne administration de la société et de bonne gestion des rapports entre associés, il est apparu souhaitable de reconnaître la validité de ces clauses au détriment de la logique juridique.

Mais contrairement à ce que soutient M. Jeantin?, il paraît discutable d'étendre cette disposition aux sociétés civiles professionnelles. La loi du 31 décembre 1990 est un texte spécial qui a vocation à régir les seules structures qu'il met en place et ne saurait avoir de portée générale. De plus, l'article 17 dispose que la loi du 31 décembre 1990 ne s'oppose pas à l'exercice des professions mentionnées à l'article premier, ce qui dénote la volonté de ne pas revenir sur les dispositions de la loi instituant les sociétés civiles professionnelles.

Cette dérogation au droit commun est emblématique d'une structure créée en fonction des caractéristiques des professionnels auxquels elle est destinée et dans laquelle les associés extérieurs ne sont que tolérés.

2- Le champ d'application de la clause compromissoire

Le recours à l'arbitrage est limité aux seuls litiges survenant entre associés et qui portent sur l'existence et le fonctionnement de la société.

Cet encadrement n'est pas aussi réducteur que ce qu'il laisse paraître de prime abord. L'activité exercée et l'indépendance des professionnels sont de nature à privilégier de tels litiges. La pratique des professions libérales sous d'autres formes d'exercice en groupe est d'ailleurs particulièrement féconde de litiges entre professionnels.

Il ne s'agissait évidemment pas ici de permettre l'usage de la clause compromissoire dans les mêmes conditions que dans toutes les sociétés commerciales. Une reconnaissance totale de la validité des clauses compromissoires, au sein des sociétés d'exercice libérale, aurait pris le contre pied de l'esprit qui anime la réforme et de plus contredirait directement l'article 15 al 1er de la Loi.

Gageons cependant que la compétence et la discrétion des arbitres? ne pourront être que bénéfiques à la pérennité de l'entreprise, évitant ainsi les impasses que rencontrait l'exercice de la profession sous forme de société civile professionnelle.

Dans un même ordre d'idée, la loi prévoit que les décrets d'application puissent prévoir l'exclusion d'un associé. Si l'objectif de ces deux dispositions est semblable, éviter la mise en péril de la société pour des causes de mésentente entre associés, cette dernière est néanmoins plus significative de l'ambiguïté de la nature de la société.

B - L'institutionnalisation de l'exclusion d'associé

Le pouvoir réglementaire est habilité par la loi du 31 décembre 1990 à mettre en place une procédure d'exclusion d'un associé par ses pairs. Cette disposition novatrice, qui peut avoir des répercussions importantes en pratique et certaines d'un point de vue juridique, appelle quelques remarques sur la manière dont elle a été introduite dans la réforme.

La façon subreptice dont elle a été insérée en fin de loi au milieu d'un article hétéroclite, peut même faire douter de sa présence. Mais l'article 21 al 2 de la loi est formel, "les décrets pris en Conseil d'Etat peuvent prévoir des cas où un associé peut être exclu de la société". Cette première observation en appelle une autre, était-il judicieux de laisser au pouvoir réglementaire le soin de statuer sur un point aussi important ? Il est toutefois vrai que la loi impose aux textes de prévoir une série de dispositions afin de garantir les droits de l'associé exclu.

Malgré le caractère insolite de sa mise en place, l'exclusion d'associé reste une disposition audacieuse qui influe sur la nature juridique de la société et dont l'intérêt pratique est non négligeable.

1- Une disposition novatrice

Le caractère de la disposition est original en ce sens que l'exclusion d'un associé est normalement une exception en droit des sociétés?. La loi du 24 juillet 1966 ne l'admet que pour éviter la nullité encourue pour incapacité ou vice du consentement, pour sanctionner le défaut d'apport ou encore lors de procédures collectives pour éliminer les dirigeants qui ont commis des fautes graves de gestion. La jurisprudence admet également, que l'exclusion d'un associé puisse résulter d'une clause statutaire quand celle-ci demande au juge de prononcer la sanction et qu'existe un juste motif.

A ces cas qui restent valides, les décrets d'application en ajoutent un spécifique qui rappelle les dispositions qui sont prévues en matière de sociétés en nom collectif. Non pas que les mêmes situations produisent les mêmes conséquences, mais les fondements des deux dispositions sont voisins. Dans les sociétés en nom collectif, une clause statutaire peut prévoir l'exclusion d'un associé en liquidation judiciaire afin d'assurer la continuité de l'entreprise. Le fondement de cette disposition est à rechercher dans la survie de l'entreprise, mais également dans les relations intuitu personae inhérentes à ce type de société. Dans les sociétés d'exercice libéral les cas prévus par les décrets pour l'exclusion des associés ne mettent pas forcément l'entreprise en péril, l'exclusion restant une faculté donnée aux associés. C'est donc plus dans les liens privilégiés que les associés entretiennent entre eux que serait le fondement de l'exclusion. Or, dans les sociétés de capitaux, l'intuitus personae s'il n'est pas absent (les S.A.R.L. sont constituées intuitu personae ) est du moins amoindri.

L'exclusion d'associés est également novatrice en ce qu'elle ne résulte pas d'une décision de justice mais de la seule volonté des associés.

Admettre que des associés puissent seuls exclure de la société l'un des leurs, c'est porter au plus haut l'importance de l'intuitus personae, suffisamment pour faire douter du caractère de société de capitaux.

2- La mise en oeuvre de la procédure et les garanties accordées à l'associé exclu

A l'exception de trois d'entre eux qui restent taisants, les décrets prévoient tous la possibilité de l'exclusion. Deux cas différents dans lesquels la procédure peut être mise en oeuvre ont été envisagés, d'une part le cas de condamnations disciplinaires ou pénales et d'autre part le non respect des règles de fonctionnement de la société.

Ce second cas qui est prévu par les décrets relatifs à l'exercice des professions médicales, constitue une double nouveauté, jamais jusqu'alors une exclusion n'ayant été motivée de la sorte. La notion de contravention aux règles de fonctionnement? ne fait pas l'objet d'une liste même indicative de la part des décrets ; les tribunaux devront donc, s'il y a lieu, apprécier ce que constitue une telle contravention. Cette notion recouvre certainement le non respect par un associé des règles spécifiques des sociétés d'exercice libéral, comme par exemple celui qui exercerait sa profession au sein de plusieurs groupements alors que le décret l'interdit?.

Pour éviter toute décision inique de la part des associés, la loi, suivie en cela par les décrets, accorde une série de trois garanties à l'associé malheureux.

L'exclusion doit émaner d'une décision prise à l'unanimité des associés, c'est notamment le cas dans les sociétés constituées pour l'exercice des professions juridiques ou judiciaires, ou à une majorité fixée par les statuts. Deux questions s'imposent. Une clause statutaire est elle nécessaire à la validité de l'exclusion ? Selon quelle majorité les associés devront-ils statuer pour exclure un des leurs ? La nécessité d'une clause statutaire n'est imposée ni par la loi, ni par les décrets. Cependant comme l'exclusion n'est que facultative et, afin d'éviter toute contestation de la part de l'associé sanctionné, il est certes préférable de reprendre dans les statuts les dispositions des décrets. Quant à la majorité, il conviendra de prévoir la majorité imposée pour la modification des statuts, même si la majorité simple n'est pas expressément exclue.

Certains décrets mettent en place une procédure qui permettra à l'associé de présenter sa défense, notamment ceux qui édictent la possibilité d'exclusion pour contravention aux règles de fonctionnement de la société. Les autres, loin d'être en contradiction avec la loi, ne visent que des cas d'exclusion consécutifs à une sanction disciplinaire ou pénale passée en force de chose jugée et dans lesquels le principe du contradictoire a déjà été respecté.

Enfin, pour éviter toute spoliation, le prix des parts est, en cas de désaccord, estimé selon la procédure de l'article 1843-4 du code civil. Les parts sont éventuellement rachetées par la société, ce qui sous-entend une modification des statuts. Cette disposition plaide en faveur de l'adoption de la majorité qualifiée lorsque l'unanimité n'est pas imposée par les décrets pour l'expulsion de l'associé.

Chapitre II - Le Fonctionnement de la société

Comme dans toute organisation sociale, le fonctionnement de la société d'exercice libéral est largement tributaire de sa nature juridique.

Or, bien que la forme juridique doive conférer à la société une nature incontestablement commerciale des doutes sérieux demeurent. Cette incertitude qui pèse sur la nature de la société, a des répercutions non seulement sur les actes qu'elle passe mais encore sur les conditions d'exercice de la profession.

La loi ne définit pas expressément la nature de la société d'exercice libéral, se contentant de poser des dérogations au droit commun des sociétés commerciales. Les tribunaux, quant à eux, adoptent une position originale soutenant que la société d'exercice libéral ne peut être considérée comme étant commerciale au sens de l'alinéa 1er de l'article 7 de la loi du 25 janvier 1985, sans pour autant rejeter catégoriquement la nature commerciale?.

En conséquence, la nature de la société d'exercice libéral variera selon le contexte juridique.

A chaque différente situation de la vie sociale de l'entreprise le droit civil ou commercial est susceptible de s'appliquer.

Ainsi, lorsque l'objet de la société, donc l'exercice de la profession, primera toute autre considération, la société sera considérée comme une personne de droit civil, alors que dans l'hypothèse contraire le droit commercial sera applicable. Il en ira de même pour déterminer quelles règles de droit s'appliquent aux associés dans leurs relations avec la société.

Section I - Le particularisme d'une société commerciale à objet civil

La société d'exercice libéral se caractérise notamment par son exclusivité d'objet qui est l'exercice d'une profession libérale. Cet objet, qui est strictement défini par la loi du 31 décembre 1990, est la source de nombreuses interrogations qui portent sur la nature de la société, mais aussi sur celle des actes qu'elle ou un de ses associés sont amenés à passer.

Cette question de la nature de la société n'est pas vaine puisqu'elle doit normalement permettre de déterminer les règles juridiques qui seront applicables.

Or, à cet égard, la société d'exercice libéral se plaît à obscurcir tout raisonnement rationnel. En effet, si la forme de la société tend vers la commercialité, des dispositions expresses de la loi font échapper les litiges et actions en justice dans lesquels une société d'exercice libéral est partie, aux tribunaux consulaires et en même temps autorisent la clause compromissoire entre associés?.

De même, les actes exécutés en son sein semblent obéir à des règles différentes selon qu'ils sont passés directement par la personne morale ou par l'intermédiaire d'un des associés pour l'exercice de la profession.

Il apparaît donc qu'établir la nature juridique de la société avec précision relève de la gageure. En outre, les conséquences traditionnellement attachées à la nature juridique d'une personne morale, notamment en matière d'acte, ne seraient pas transposables en la matière.

Paragraphe I - L'objet de la société

A - La transparence juridique

L'objet des sociétés d'exercice libéral est "l'exercice en commun de la profession"?.

Cet objet est déterminé de manière exclusive et précise par la loi, ce qui distingue les sociétés d'exercice libéral des sociétés commerciales qui leur servent de modèle.

Les sociétés d'exercice libéral, contrairement aux sociétés commerciales ordinaires qui ont une vocation généraliste, sont insusceptibles de fournir un habit juridique à une quelconque autre activité que celle exclusivement définie par l'article premier. Cette définition exclusive de l'objet de la société par la loi n'est pas sans précèdent. D'autres sociétés partagent cette caractéristique, par exemple: les S.I.C.O.M.I.?, les sociétés constituées pour le rachat de l'entreprise par les salariés...

La Loi écarte toutes les dispositions législatives ou réglementaires qui pourraient s'opposer à la création d'une société d'exercice libéral.

Dés lors, elle entend réserver cette forme sociale aux seuls professionnels libéraux, et ce quelles que soient les restrictions préalablement fixées.

La société d'exercice libéral se caractérise par la transparence de son objet, reprenant en cela la règle qui prévaut dans les sociétés civiles professionnelles.

Seuls les praticiens sont compétents pour accomplir les actes de la profession, la personne morale de la société restant neutre.

Cette règle a des conséquences non négligeables sur le régime de la responsabilité de la société et de ses membres. Par ailleurs, elle contribue à distinguer encore une fois les sociétés d'exercice libéral des sociétés de capitaux régies par la loi du 24 juillet 1966. Les S.A.R.L., les S.A. et les S.C.P.A. sont des sociétés qui font écran. Les associés n'interviennent pas directement en tant que sujet de droit dans l'exercice de l'activité de la société.

Une disposition expresse de la loi vient conforter le caractère déjà ambiguë de la société d'exercice libéral en la faisant échapper à la compétence des juridictions consulaires.

B - La compétence des tribunaux civils

Les dispositions de la loi du 31 décembre 1990 soustraient les sociétés d'exercice libéral de la compétence des tribunaux de commerce. La forme de ces sociétés d'essence commerciale les prédestinaient pourtant à relever des juridictions consulaires. Le législateur a fait prévaloir la nature libérale de la société et a donc réservé « aux seuls tribunaux civils compétence pour connaître des actions en justice dans lesquelles l'une des parties est une société d'exercice libéral"?.

A la publication de la Loi, cette disposition n'avait donné lieu, de la part des commentateurs, qu'à des remarques d'ordre général, voire à de l'indifférence. Il fallut attendre 1994 pour qu'elle revienne en force sur le devant de la scène.

Le 22 mars 1994, le Tribunal de Commerce de Paris retint sa compétence pour ouvrir un redressement judiciaire à l'encontre d'une société d'exercice libéral à forme anonyme. Cet arrêt entraîna l'inflation de chroniques et autres articles sur l'opportunité d'une telle décision.

Le 16 juillet 1994, la Cour d'Appel de Paris allait réaffirmer la compétence exclusive des tribunaux civils, mais sans toutefois mettre fin à la polémique.

La compétence exclusive des tribunaux civils, instaurée par les dispositions de l'article 15 al 1er de la loi, soulève une série d'interrogations auxquelles ni ces arrêts, ni la Loi et, en définitive, ni la doctrine ne donnent de solutions certaines.

Au lendemain de la décision rendue par le tribunal de Commerce de Paris, M. Yves Chaput écrivait: "Aucun argument de texte ne paraît indiscutable"?, cette réflexion reste aujourd'hui encore pertinente.

1- Le champ d'application de l'article 631-1 du Code de Commerce

Pour déterminer quel est le tribunal compétent pour l'ouverture d'une procédure collective on doit s'interroger sur la nature des sociétés d'exercice libéral.

Le Tribunal de Commerce de Paris, au terme d'une procédure que l'on peut qualifier d'épique, retient sa compétence pour ouvrir une procédure collective à l'encontre d'une société d'exercice libéral à forme anonyme, en cantonnant la compétence des tribunaux civils, issue de l'article 631-1 du code de commerce, "aux seules procédures individuelles".

Cette compétence des tribunaux de commerce en matière de procédure collective, ouverte contre des sociétés d'exercice libéral, viendrait de la combinaison de trois arguments.

Le Tribunal fait une interprétation stricte de la disposition de l'article 15 de la Loi du 31 décembre 1990, opposant les "procédures individuelles aux procédures collectives relevant de la Loi de 1985." L'article 631-1 du code de commerce est un article du titre II qui traite de la compétence des tribunaux de commerce et vise les litiges mettant en présence des parties commerçantes ou relatifs à des effets ou actes de commerce, alors que la compétence des tribunaux de commerce en matière de traitements des difficultés des entreprises résulte de l'article 7 de la loi du 25 janvier 1985.

L'article 631-1 ne pourrait donc s'appliquer qu'à des litiges individuels et non aux procédures collectives.

L'argumentation du Tribunal de commerce de Paris, comme le fait remarquer M. Fernand Derrida?, reprend une jurisprudence déjà développée à propos des procédures collectives. L'ouverture d'une procédure collective ne consisterait pas à statuer sur un litige, mais sur une demande d'application de la loi.

A l'appui de sa compétence le Tribunal de Commerce rappelle la spécificité des dispositions de l'article 7 de la loi du 25 janvier 1985 qui dérogerait aux dispositions de la loi du 31 décembre 1990 qualifiée de « caractère général".

Enfin, dernier argument qui renforcerait la compétence du tribunal de commerce, la qualité de société commerciale par la forme, reconnue par la loi du 24 juillet 1966 aux sociétés par actions.

Ces arguments, retenus par le Tribunal de Commerce de Paris, sont discutables et de valeur réduite?.

Tout d'abord, l'article 631-1 ne vise pas expressément les "litiges" mais les "actions en justice dans lesquelles l'une des parties est une société constituée conformément à la Loi du 31 décembre 1990". Or, les procédures collectives sont judiciaires et les sociétés contre lesquelles elles sont ouvertes deviennent parties à la procédure. Elles constituent ainsi à n'en pas douter des actions en justice?.

Mais, avant tout, la solution du Tribunal de Commerce de Paris pour reconnaître sa compétence en admettant que la loi du 30 décembre 1990 a un caractère général apparaît fallacieuse et artificielle. Tout au contraire et comme le signale M. Jean-Jacques. Daigre?, les articles 1er et 2e marquent son caractère éminemment spécifique et dérogatoire à la loi du 24 juillet 1966.

Dès lors, de caractère semblable, le Tribunal n'aurait pas dû faire prévaloir l'une de ces deux lois sur l'autre (la loi du 25 janvier 1985 sur la loi du 31 décembre 1990), mais appliquer les dispositions de l'article 631-1 du code de commerce.

Les dispositions de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1990 instituant l'article 631-1 sont écrites en des termes volontairement généraux et maladroits pour lui reconnaître une portée universelle?.

La Cour d'Appel ne manque d'ailleurs pas de sanctionner les incohérences du Tribunal.

Cependant, elle retient non pas les dispositions de l'article 631-1 du code de commerce, mais la prédominance de l'objet sur la forme, comme fondement à sa décision. Elle se garde ainsi de définir le champ d'application et la portée de l'article 631-1 du code de commerce.

L'argumentation de la Cour d'Appel pour retenir la compétence du Tribunal de Grande Instance risque cependant de cesser d'être valide lorsqu'une procédure collective s'ouvrira contre une société d'exercice libéral de pharmaciens. En effet, le décret du 28 août 1992 autorise les pharmaciens d'officine à créer des sociétés d'exercice libéral alors qu'ils exploitent un fonds de commerce et que leur activité est commerciale. Les sociétés d'exercice libéral de pharmacie sont donc commerciales par leur objet?.

En conséquence, M. J.J Daigre soutient que les tribunaux de commerce retrouvent leur compétence pour prononcer le jugement d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de ces sociétés en vertu des dispositions de l'article 7 de la loi du 25 janvier 1985.

D'un point de vue juridique, cette solution remet en question la généralité des dispositions de l'article 631-1 du code de commerce et le caractère spécial de la loi du 31 décembre 1990. En outre, il ne semble pas souhaitable que le tribunal de commerce soit compétent pour prononcer un jugement d'ouverture de procédure collective pour des raisons purement pratiques. En effet, toutes les contestations qui naîtront à la suite de l'ouverture de la procédure relèveront des tribunaux civils en vertu des dispositions de l'article 631-1 du code de commerce. Dès lors, retenir la compétence du tribunal de commerce pour l'ouverture d'une procédure collective à l'égard d'une société d'exercice libéral de pharmacien, revient à dissocier la compétence en matière de procédure collective et s'oppose ainsi à l'esprit de la loi du 25 janvier 1985?.

En affirmant la prépondérance de l'objet sur la forme, cet arrêt renforce l'idée déjà développée par certains auteurs dont M. F. Derrida, et M. J.J. Daigre?, selon laquelle le caractère commercial des sociétés d'exercice libéral est contestable.

Néanmoins, en dehors de la compétence reconnue aux tribunaux civils par l'article 15 alinéa 1er de la loi du 31 décembre 1990 en raison de la prédominance de l'objet libéral, les sociétés d'exercice libéral vont répondre de la réglementation commerciale. Par exemple, elles devront être immatriculées au registre du commerce et des sociétés, les actes passés par la personne morale sont des actes de commerce, le mode de preuve est libre?... Mais, les sociétés d'exercice libéral qui sont considérées comme des membres de la profession exercée par les associés, doivent, de plus, se soumettre à l'ensemble des textes qui la réglemente?.

2 - La S.E.L., une société d'inspiration civile.

Les sociétés d'exercice libéral ne sont pas de pures sociétés de capitaux, au sens traditionnel de ce terme. La volonté de préserver l'indépendance des professionnels se traduit par le renforcement de l'intuitus personae qui conduit à resserrer les liens entre les associés. L'obligation de n'émettre que des actions nominatives dans les sociétés par actions en est une preuve manifeste. Mais ce caractère nominatif des actions rappelle également l'origine civile de l'activité. Les dispositions de la loi du 31 décembre 1990 accordent d'ailleurs une place prépondérante à ce caractère civil et restreignent au maximum ses atteintes.

Ainsi, même si les dispositions de la loi du 31 décembre 1990 restent minoritaires par rapport à celles de la loi du 24 juillet 1966, elles n'en constituent pas une partie. Comme le faisait remarquer M. J.J. Daigre dans une note sous l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 juillet 1994?, il existe une différence fondamentale entre la loi du 31 décembre 1990 et la loi du 3 janvier 1994 qui crée la société par actions simplifiée: "la loi du 3 janvier 1994 s'intègre directement dans la loi du 24 juillet 1966". La conséquence de cette incorporation est d'assujettir directement la nouvelle entité créée aux dispositions de la loi du 24 juillet 1966 et notamment à son article premier.

Rien de tel pour les sociétés d'exercice libéral. La loi du 31 décembre 1990 ne s'intègre pas à la loi de 1966, elle s'impose au contraire comme un texte spécifique. Le seul insert que consacre la loi du 31 décembre 1990, est celui de l'article 15 qui institue l'article 631-1 du code de commerce.

En effet, si la loi de 1990 se réfère à la loi du 24 juillet 1966, elle s'en démarque aussitôt.

L'article premier alinéa 1 de la loi du 31 décembre 1990 mentionne trois sociétés qui sont régies par la loi du 24 juillet 1966 et dispose que ce texte à vocation générale ne recevra application que pour ce qui n'est pas expressément envisagé.

Les dérogations sont particulièrement importantes: objet exclusif de la société, incapacité de la personne morale à exercer les actes de la profession, appellation spécifique des nouvelles sociétés créées.

Il apparaît dès lors, que la commercialité par la forme des sociétés d'exercice libéral est incertaine. M. J.J. Daigre considère l'appellation spécifique comme l'élément décisif de la nature indéterminée des sociétés d'exercice libéral. Il soutient d'ailleurs que les sociétés d'exercice libéral ne sont nullement des sociétés commerciales par la forme?.

Cependant, si les sociétés d'exercice libéral échappent aux critères de commercialité sur bien des points elles ne répondent pas pour autant à la définition de société civile.

Elles seraient ce qu'il conviendrait d'appeler des sociétés de nature hybride, à la jonction entre la société commerciale par la forme et la société civile.

De prime abord, la société d'exercice libéral semble n'être qu'une société commerciale dérogatoire de droit commun, puis sa nature ambiguë se fait plus pesante.

La majorité des commentateurs reconnaissent la commercialité par la forme de la société d'exercice libéral ou du moins la prépondérance de son caractère commercial. Il n'est cependant pas certain que cette nouvelle structure soit d'essence commerciale.

L'objectif de la réforme était d'augmenter la compétitivité des professionnels face à la concurrence accrue en mettant à leur disposition une structure d'organisation sociale moderne.

La lecture de la loi met en lumière que les possibilités capitalistiques des sociétés d'exercice libéral sont restreintes par rapport à celles qu'offrent les S.A.R.L. et les sociétés par actions de droit commun.

Par contre, la loi du 31 décembre 1990 n'apporte aucune modification ni restriction aux possibilités extra-financières que permettent les sociétés sus-citées. Au contraire, la loi réintroduit des techniques de gestion que ses dérogations avaient exclues, notamment la pratique du R.E.S?.

En définitive, ce ne sont pas tant des préoccupations d'ordre financier qui pénalisaient les structures juridiques préexistantes, que leur incapacité à permettre une gestion moderne de l'entreprise. La réforme devait donc donner, à cet égard, aux structures civiles les prérogatives des sociétés de capitaux.

Il est alors apparu plus simple, plus pragmatique, de faire déroger les formes commerciales existantes afin qu'elles répondent aux exigences spécifiques des professions libérales, que d'aménager les sociétés civiles professionnelles.

Dans ces conditions, la nature de la société est civile par à son essence et son fondement, et commerciale par la forme qu'elle emprunte.

La logique commande donc de reconnaître à cette société une nature hybride et de tirer les conséquences de ce caractère particulier. Elle doit donc obéir aux dispositions légales régissant les sociétés commerciales qui sont compatibles avec l'esprit et la conception de l'activité libérale.

Paragraphe II - La nature des actes passés par la société

La transparence de la société d'exercice libéral à l'égard des actes qui sont passés par les professionnels pour l'exercice de leur activité entraîne des conséquences non négligeables.

En effet, cette disposition crée ipso facto deux catégories d'actes qui sont déterminées en fonction de leur but et des parties en présence.

A - La distinction des actes de gestion et des actes d'exercice de la profession

La réunion au sein d'une même structure de la nature commerciale et civile, oblige à distinguer deux catégories d'actes que cette entreprise peut être amenée à passer.

Les actes passés par la personne morale ou les associés s'opposeront aux actes de la profession que seuls les associés professionnels peuvent accomplir.

1- Les actes de gestion

Il faut entendre par acte de gestion, tous les actes qu'une société d'exercice libéral est à même de passer pour la réalisation de son but.

En d'autres termes, tous les actes qui ne relèvent pas de l'accomplissement de la profession, pour l'exercice de laquelle la société a été constituée, seront considérés comme actes de gestion.

Ces actes de gestion peuvent, du côté de la société d'exercice libéral, émaner soit des associés, soit de la personne morale elle-même.

Lorsque les associés agissent au nom de la société, il ne pourra s'agir que d'un acte de gestion, puisque cet acte sera passé au nom et pour le compte de celle-ci.

Cependant, en période de formation notamment, les fondateurs peuvent être amenés à s'engager eux-mêmes dans un premier temps et à faire reprendre ces actes par la société, selon la procédure de droit commun des sociétés commerciales?.

De même, les actes auxquels l'un des associés est partie et qui se révéleront engager la société deviendront actes de gestion, à la condition toutefois de ne pas concerner l'exercice de la profession.

Ainsi, les actes de gestion que l'on pourrait également désigner sous le terme d'actes d'administration seront caractérisés par deux critères: d'une part, ils ne concernent pas l'exercice de l'activité libérale en cause et d'autre part, ils sont, soit passés directement par la personnalité morale de la société, soit par des fondateurs et repris par la société.

Cette première catégorie d'actes va s'opposer à celle plus spécifique des actes d'exercice de la profession qui est issue directement de la loi.

2- Les actes d'exercice de la profession

Cette seconde catégorie d'actes est inhérente à la qualité de société d'exercice.

L'article premier de la loi dans son alinéa 4 dispose de l'incapacité de la société à accomplir les actes d'une profession déterminée?.

Ces actes recouvrent tous les actes que les seuls professionnels passent à l'exclusion de tout autre membre de la société associé ou salarié non professionnel.

En outre, il faut qu'ils répondent à l'exécution de la profession et non à un acte d'administration.

Les actes d'exercice doivent donc remplir deux conditions cumulatives: être passés par un professionnel libéral et relever de l'accomplissement de la profession en cause.

La distinction de ces deux types d'actes est nécessaire pour déterminer quelle sera leur nature et quelles règles appliquer, notamment en cas de litige.

B - Une spécificité qui s'oppose à un classement dans la nomenclature classique

Le système juridique français connaît principalement trois types d'actes: les actes civils, les actes de commerce et les actes mixtes.

Avec les sociétés d'exercice libéral, la dichotomie qui est faite entre actes de gestion et actes d'exercice, contrarie cette nomenclature.

Les actes de gestion revêtiront certainement la qualité d'actes de commerce ou d'actes mixtes.

En effet, ces actes sont passés pour le compte de la société qui, malgré son caractère hybride, reste de forme commerciale.

La dérogation instituée par l'article 15 de la loi n'entend pas régler le sort des actes que passent les sociétés d'exercice libéral, mais simplement un problème de compétence de juridiction. La lecture de l'article 631-1 du code de commerce ne permet pas d'avancer, qu'en transférant la compétence des tribunaux consulaires aux tribunaux civils, le régime des actes a évolué vers le régime civil.

Dès lors, il faut donc considérer que la nature de société commerciale par la forme va jouer son rôle à l'égard des actes passés par la société. Le droit commun des sociétés commerciales s'appliquera dans toutes ses dispositions, exception faite de la dérogation de l'article 631-1 du code de commerce.

Les actes passés par la société mettant en présence deux personnes commerçantes ressortiront au régime de preuve libre en application de l'article 109 du code de commerce et la comptabilité de la société pourra être invoquée en justice.

En présence d'un acte mixte, les principes de droit commun doivent trouver application. La preuve se fera donc par tout moyen contre la société, alors que celle-ci devra se plier aux règles civilistes.

Mais, l'option dite du civil demandeur, qui permet à la partie civile de choisir l'application du droit commercial ou du droit civil, selon ce qui lui est le plus favorable, doit être écartée.

Les dispositions de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1990 s'opposent directement à cette faculté en conférant l'exclusivité de la compétence aux tribunaux civils.

Les possibilités de la partie civile se trouvent réduites, mais comme le rappelle la Cour d'Appel dans l'arrêt du 6 juillet 1994, la loi du 31 décembre 1990 entend faire prévaloir en matière de compétence l'objet sur la forme.

Le rapprochement avec le régime juridique de droit commun préexistant ne pose donc pas de problème majeur en ce qui concerne les actes d'administration.

Les actes d'exercice de la profession, dérogent au contraire fortement aux règles de droit tant civiles que commerciales.

L'article 1er al 4 de la loi du 31 décembre 1990 dispose que "les sociétés (d'exercice libéral) ne peuvent accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession".

De plus, l'exercice sous forme de société d'exercice libéral ne confère pas la qualité de commerçant aux associés.

Ces dispositions de la loi du 31 décembre 1990 laissent supposer que les actes passés par les professionnels pour l'exercice de leur profession relèvent du régime des actes civils, mais les sociétés d'exercice libéral sont issues de sociétés de capitaux qui sont commerciales par la forme.

Les sociétés d'exercice libéral s'apparentent, sur le plan de la forme tout du moins, à des sociétés commerciales, les actes passés dans leur cadre devraient donc être des actes de commerce.

La forme de la société l'emporte normalement sur la qualité juridique des personnes qui sont les auteurs des actes.

Cependant, la Cour d'Appel de Paris dans l'arrêt du 6 juillet 1994, retient pour réaffirmer la compétence des tribunaux civils, que: "en raison de la primauté de son objet, (la société d'exercice libéral) ne peut être considérée comme commerçante au sens de l'article 7 de la loi du 25 janvier 1985".

L'article 7 de la loi du 25 janvier 1985 dispose de l'attribution, aux tribunaux civils ou commerciaux, de compétence pour ouvrir une procédure collective.

Ainsi, le tribunal de commerce est compétent quand le débiteur est commerçant (ou artisan) et le tribunal de grande instance dans les autre cas.

L'article 7 de la loi de 1985 ne prévoit que deux cas de figures soit le débiteur est commerçant, soit il est civil.

La Cour d'Appel quant à elle semble envisager une autre possibilité, une nouvelle forme de commercialité. Elle ne proclame pas le caractère civil de la société d'exercice libéral, elle se contente de ne pas retenir la commercialité par la forme.

Cette commercialité particulière est commandée par la spécificité de l'objet de la société, l'exercice d'une activité libérale.

Dès lors les actes d'exercice de la profession peuvent-ils être considérés comme relevant du régime des actes de commerce ? Ne devraient-ils pas relever au contraire du régime des actes civils ? La prédominance de l'objet qui conduisit la Cour d'appel à reconnaître la compétence du Tribunal de Grande Instance devrait logiquement s'appliquer.

A coté des trois catégories classiques d'actes apparaîtrait alors une catégorie d'actes hybrides faisant pendant à la nature hybride de la société.

Les actes d'exercice seraient donc des actes de commerce par la forme mais, la prééminence de l'objet les soumettrait au régime des actes civils.

Dans une perspective pragmatique il serait normal d'adopter un semblable système.

La qualité d'associé dans une S.A.R.L. ou dans une S.A. ne confère pas celle de commerçant bien que ces sociétés soient toujours commerciales. Les S.E.L.A.R.L. et les S.E.L.A.F.A. présentent par conséquent les mêmes caractéristiques. Au sein de la société en commandite par actions, les commandités qui sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales sont commerçants alors que les commanditaires qui ne supportent les pertes qu'à concurrence de leurs apports ont qualité d'actionnaires. La loi du 31 décembre 1990 dispose dans son article 13? qui met en place le statut de la S.E.L.C.A., que les associés commandités n'ont pas de ce fait la qualité de commerçants bien que leur régime de responsabilité reste inchangé. Les professionnels n'ayant pas la qualité de commerçants, il serait incohérent de soumettre les actes passés dans l'exercice de leur activité au régime commercial.

Il est préférable de faire se côtoyer au sein de la même société deux types d'actes assujettis à deux régimes juridiques spécifiques pour une meilleur administration de la justice, même si le droit est bafoué.

Deux types d'actes coexisteront dans les sociétés d'exercice libéral, d'une part les actes de gestion relevant du régime des actes de commerce ou des actes mixtes, et d'autre part les actes d'exercice de la profession soumis au régime des actes civils.

Section II - L'exercice de la profession

Les professionnels en exercice au sein d'une société d'exercice libéral se trouvent en rupture avec l'habituelle situation des associés de sociétés de capitaux ou même des autres sociétés commerciales.

L'ambiguïté de la nature juridique de la société influe sur l'exercice de la profession. Cette influence se manifeste, notamment, en matière de responsabilité. La responsabilité de la société et de ses membres répond à un système graduel selon que les actes en cause ne portent que sur la gestion de l'entreprise ou au contraire relèvent de l'exercice de la profession.

En outre, l'organisation des professions libérales en ordre ou organisation professionnelle introduit un nouvel interlocuteur absent des rapports des sociétés classiques. La société d'exercice libéral, d'objet exclusif, est assimilée à un membre de la profession dont elle permet l'exercice. En conséquence, en tant que personne morale, la société d'exercice libéral est tenue envers les organisations professionnelles des mêmes obligations et devoirs qu'un praticien. Elle se trouve notamment subordonnée au pouvoir de sanction de l'organe dont dépend la profession à laquelle elle appartient.

Paragraphe I - Une responsabilité marquée par le caractère hybride de la société

Le cadre de la responsabilité, au sein de la société d'exercice libéral, suit une évolution semblable à celle initiée en matière d'actes juridiques.

En effet, si, comme en droit commun la société est responsable de ses propres dettes, l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990 dispose que "chaque associé répond sur l'ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit".

Cette disposition oblige dès lors à distinguer deux types de responsabilités, celle encourue par les associés et celle encourue par la société.

A - La responsabilité personnelle de l'associé

La règle de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990 s'analyse comme la suite logique des dispositions de l'article 1er al 4, qui prévoit que seuls les associés professionnels ont qualité pour accomplir les actes de l'activité en cause.

Cette dérogation au droit commun oblige à distinguer les différents cas de mise en oeuvre de la responsabilité de l'associé.

1- La responsabilité personnelle indéfinie

Le champ d'application de la règle de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990 est expressément défini: deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que la responsabilité personnelle indéfinie soit mise en oeuvre.

Il faut en effet, non seulement que l'acte émane d'un associé professionnel, mais encore qu'il soit passé dans le cadre de l'exercice de la profession.

Cet engagement de responsabilité indéfinie est cependant personnel et un associé ne saurait être tenu des actes dommageables accomplis par d'autres professionnels.

Cette règle est incontestablement d'ordre public. Elle ne peut donc subir aucune restriction. Ainsi, l'associé professionnel d'une société d'exercice libéral à responsabilité limité demeure personnellement et indéfiniment responsable de ses actes professionnels, la forme de la société restant neutre.

L'exercice d'une profession libérale au sein d'une des trois formes sociales instituées par la loi du 31 décembre 1990 "ne permet donc pas d'échapper à l'engagement personnel illimité du professionnel"?.

L'article 16 reprend logiquement la solution qui prévaut dans les sociétés civiles professionnelles. Les limitations de responsabilité propres aux sociétés par actions et aux S.A.R.L. se trouveraient, en effet, en complète opposition avec la conception qui domine l'exercice des professions libérales.

Le régime commun de responsabilité trouve cependant à s'appliquer lorsque la conséquence de la dette trouve son origine dans un acte extra-professionnel.

2- La responsabilité de droit commun

L'associé professionnel d'une société d'exercice libéral peut, comme tout associé, être amené à accomplir des actes sans lien direct avec l'exercice de la profession en cause.

Dans la pratique des actes d'administration de la vie sociale de l'entreprise, le régime commun de responsabilité des sociétés commerciales reprend vigueur. Dès lors, les limitations de responsabilité attachées à la forme de société adoptée s'appliqueront.

Dans le cadre d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée, l'associé sera responsable dans les mêmes conditions que l'associé de S.A.R.L. classique. Il ne sera responsable du passif social que dans la limite du montant de ses apports.

Les actionnaires de sociétés d'exercice libéral à forme anonyme ne supporteront le passif social qu'à concurrence de leurs apports.

En somme, les règles, tant légales, que jurisprudentielles, s'appliqueront.

Dans le cadre d'une société d'exercice libéral en commandite par actions, le régime de responsabilité ressort d'une plus grande spécificité.

3- Le cas particulier des membres de S.E.L.C.A.

L'article 13 de la loi du 31 décembre 1990 aménage la commandite par actions et précise le régime de responsabilité des actionnaires et associés.

Les associés commandités, à qui la qualité de commerçants a été retirée, répondent néanmoins indéfiniment et solidairement des dettes sociales. La formule de l'article 13 de la loi du 31 décembre 1990 est plus générale que celle de l'article 16, elle englobe les actes professionnels et les actes de gestion.

Les associés commanditaires, quant à eux, sont réputés par la loi "ne pouvoir faire aucun acte de gestion externe ou interne, même en vertu d'une procuration". Ils ne sont, dès lors, tenus personnellement et indéfiniment que dans le cadre de leur responsabilité professionnelle. Cependant, dans un but de protection des tiers, les dispositions de l'article 13 al 3 de la loi du 31 décembre 1990, ne font que se superposer aux règles de l'article 28 al 2 de la loi de 1966?. En conséquence, l'associé commanditaire qui aura outrepassé ses droits pourra être jugé solidairement responsable avec les associés commandités de toutes les conséquences dommageables de son immixtion.

Parallèlement à ce double régime de responsabilité de l'associé, et dans une perspective de meilleure protection des tiers, la société est également tenue responsable dans deux cas.

B - L'engagement de la responsabilité de la société

La société peut voir sa responsabilité engagée à double titre, d'une part elle est personnellement responsable des actes d'exploitation et, d'autre part, elle est responsable solidairement des actes professionnels des associés.

1- La responsabilité personnelle de la société

La société d'exercice libéral est responsable, comme en droit commun, de sa gestion vis-à-vis des tiers.

Ainsi, elle engagera sa responsabilité contractuelle pour inexécution fautive de ses engagements.

En tant que personne morale, la société verra aussi sa responsabilité engagée sur la base des articles 1382 et suivants du code civil, c'est-à-dire des dommages causés par le fait d'un de ses représentants et des dommages causés par les choses qu'elle a sous sa garde ou par les agissements de ses préposés.

Enfin, la société d'exercice libéral sera pénalement tenue responsable, en vertu de l'article 121-2 du nouveau code pénal?, dans les cas prévus par la loi. Elle pourra ainsi encourir des peines contraventionnelles, criminelles, voire correctionnelles. Les condamnations auxquelles s'expose la société au titre de l'article 121-2 du nouveau code pénal ne peuvent normalement pas conduire à des sanctions disciplinaires. Les décrets d'application disposent, en effet, que "la société ne peut faire l'objet de poursuites disciplinaires, indépendamment de celles qui seraient intentées contre un ou plusieurs associés exerçant leur profession en son sein"?.

2- La responsabilité solidaire de la société.

L'idée d'une meilleure protection des tiers a conduit le législateur à étendre le régime de responsabilité de la société.

L'article 16 alinéa 2 prévoit que la société est solidairement responsable avec les associés des actes professionnels qu'ils accomplissent. Ce principe est semblable à celui qui régit les sociétés civiles professionnelles. M. Michel Jeantin note cependant une différence de rédaction entre l'article 16 al 2 de la loi du 31 décembre 1990 et l'article 16 de la loi du 29 novembre 1966: "la loi de 1990 se contente de poser la solidarité entre la société et les professionnels, alors qu'au sein des sociétés civiles professionnelles, elle porte sur les conséquences dommageables des actes professionnels"?. Néanmoins, et selon cet auteur, les conséquences de ces deux dispositions sont juridiquement identiques.

Ce régime spécifique de responsabilité devrait avoir pour corollaire l'obligation pour la société de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle en complément de celle conclue par les professionnels libéraux. Cette obligation est expressément précisée par les décrets d'application concernant l'exercice des professions libérales juridiques et judiciaires?, mais elle résulte, dans ces derniers cas, de l'appartenance de la personne morale à la profession. Les sociétés constituées pour l'exercice de professions pour lesquelles les décrets ne précisent pas cette obligation doivent, sans aucun doute, elles aussi, souscrire des polices d'assurance professionnelles indépendantes de celles de leurs associés.

L'extension de la responsabilité de la société et cette obligation de souscrire une police d'assurance professionnelle est, en outre, logique puisque la personnalité de la société est considérée comme un membre de la profession.

Le régime de responsabilité dérogatoire au droit des sociétés n'est qu'un des deux pans de la spécificité de fonctionnement de la société d'exercice libéral. Le second se manifeste dans le cadre des rapports que les associés, mais également la société, entretiennent nécessairement avec les structures professionnelles dont ils dépendent.

Paragraphe II - L'appartenance à une catégorie professionnelle réglementée

Les sociétés d'exercice libéral, comme les sociétés civiles professionnelles, ainsi que les sociétés commerciales déjà autorisées?, sont subordonnées à l'autorité d'organisations professionnelles. Cette dépendance trouve sa source dans la qualité des associés et dans celle de la personne morale de la société qui, si elle n'exerce pas la profession en cause, doit se conformer aux exigences qui astreignent les associés professionnels.

En outre, selon la profession exercée, les rapports de la société avec des organismes extérieurs vont varier. Il faut, en effet, distinguer les relations avec les structures ordinales des relations avec les établissements et pouvoirs publics.

A - Les relations avec le conseil de l'ordre

Le terme d'ordre professionnel doit s'entendre dans un sens plus général qu'habituellement. Le conseil supérieur des professions paramédicales, par exemple, s'il ne répond pas à la stricte définition d'ordre professionnel se voit concéder, en matière de sociétés d'exercice libéral, les mêmes prérogatives que les ordres classiques.

Ces ordres professionnels interviennent à deux reprises dans la vie de la société d'exercice libéral: à la création, pour lui octroyer un agrément et, éventuellement, en cours de vie sociale en application de leurs prérogatives disciplinaires. Somme toute, le contrôle sur la société ne diffère pas, dans son ampleur du moins, de celui exercé sur les personnes physiques.

1- L'intervention de l'ordre lors de la constitution de la société

Les dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1990 prévoient que la société ne peut "exercer la ou les professions constituant son objet social qu'après son agrément par l'autorité ou les autorités compétentes ou son inscription sur la liste ou les listes ou au tableau de l'ordre ou des ordres professionnels". L'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés ne peut alors intervenir qu'après l'octroi de l'agrément ou l'inscription?.

La procédure concrète d'inscription d'une société d'exercice libéral permet de mieux appréhender les conséquences de ces dispositions. Par exemple, pour la constitution d'une société d'exercice libéral d'avocats, l'inscription devra se faire au tableau du barreau établi auprès du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est fixé le siège social?. Cette inscription sera consécutive à la demande collective des associés, adressée au bâtonnier et accompagnée d'un dossier comportant, à peine d'irrecevabilité, cinq documents?. Le conseil de l'ordre statue sur cette demande dans les conditions de droit commun?. La société sera alors, en cas de réponse positive, inscrite à la section des personnes morales du tableau?. Dès lors, du fait de son appartenance à la profession, la société est soumise aux obligations qui pèsent sur chaque avocat individuel et au pouvoir disciplinaire de l'ordre. Pour les professions qui sont, comme la profession d'avocat, organisées en ordre, l'inscription d'une société d'exercice libéral emportera les mêmes conséquences.

Cette intervention de l'ordre professionnel à la création de la société, si elle est rendue nécessaire pour vérifier la conformité de constitution aux exigences légales, reste inconnue dans les sociétés de capitaux classiques. De plus, la personne morale se voit traiter comme une personne physique par l'ordre professionnel, ce qui la rapproche du droit civil.

2- Le pouvoir disciplinaire de l'ordre professionnel sur la société

La loi du 31 décembre 1990 ne comporte aucune disposition particulière en matière de pouvoir disciplinaire exercé par les organismes professionnels, elle se contente de rappeler que la compétence exclusive des tribunaux civils n'y fait pas obstacle?. Les décrets d'application prévoient, quant à eux, les conditions dans lesquelles vont s'appliquer le pouvoir disciplinaire et les conséquences des éventuelles sanctions sur le fonctionnement de la société?.

Les décrets d'application relatifs aux professions médicales et paramédicales, aux professions dites techniques et à la profession d'avocat précisent que la société d'exercice libéral est soumise aux dispositions applicables à la profession dont elle permet l'exercice. Elle ne saurait cependant faire l'objet de poursuites disciplinaires indépendamment de celles qui seraient intentées contre les associés exerçant en son sein?.

Dés lors, les associés d'une société d'exercice libéral seront soumis aux pouvoirs disciplinaires de l'organisme professionnel dont ils dépendent, dans les mêmes conditions que les professionnels individuels, et selon la procédure de droit commun.

La société pourra, le cas échéant, être poursuivie concurremment devant le conseil de l'ordre ou devant l'autorité qui l'a inscrite ou lui a accordé son agrément. Ainsi, une société d'exercice libéral d'avocats est poursuivie devant le conseil de l'ordre du barreau au tableau duquel elle est inscrite?.

La société est passible des mêmes sanctions que celles de ses membres, ce qui peut entraîner d'évidentes conséquences sur le fonctionnement de la société. Le décret relatif à l'exercice de la profession de directeur de laboratoire d'analyses de biologie médicale? prévoit notamment, à l'article 17 que "la décision qui prononce l'interdiction de la société commet un ou plusieurs administrateurs pour accomplir les actes nécessaires à la gestion de la société". Ce principe a été repris par d'autres décrets, en particulier ceux relatifs à l'exercice de la profession de sages-femmes, de chirurgiens-dentistes et des professions paramédicales?.

Les décrets d'application ne comportent pas tous des dispositions similaires en matière de sanctions disciplinaires et certains ne comportent aucune disposition quant aux mesures à prendre en cas d'interdiction d'exercice de la société. Cette absence de précision ne manquera certainement pas de poser des problèmes aux professionnels libéraux.

La sanction disciplinaire qui touche la société est toujours consécutive ou concomitante à celle visant l'un de ses membres. C'est la procédure engagée contre un professionnel qui engendre la mise en cause de la personne morale. Ainsi, un membre ne peut en aucune façon échapper à sa responsabilité en se prévalant de sa qualité d'associé. La société d'exercice libéral ne fait pas écran aux sanctions disciplinaires que peut encourir un associé professionnel dans l'exercice de son activité.

La société d'exercice libéral peut encore se distinguer des sociétés commerciales classiques par ses relations avec d'autres tiers.

B - Le cas spécifique des S.E.L. d'offices publics et ministériels

Les sociétés d'exercice libéral ayant pour objet un office public ou ministériel entretiennent des relations importantes avec le Ministre de la Justice. Plus exactement, le Garde des Sceaux a vocation à intervenir à de nombreuse reprises. Comme pour les autres sociétés d'exercice libéral, la première intervention aura lieu à la création de la société quant le Ministre de la Justice nommera la société dans un office. Mais, le Garde des Sceaux doit encore donner son agrément pour la validité de cession de parts de la société à des personnes n'exerçant pas la profession en son sein, pour la nomination de nouveaux associés et pour l'augmentation de capital. Enfin, la société doit, dans les plus brefs délais, faire porter à la connaissance du Garde des Sceaux, par son représentant légal, toute décision de proroger son activité?.

La loi du 31 décembre 1990 prévoit, en outre, des dispositions qui laissent apparaître les liens importants qui unissent la société et le Ministre de la Justice. Ainsi, à la dissolution de la société ou à la suite de mésententes, les associés d'une société d'exercice libéral pourront arguer de leur qualité d'officier pour solliciter leur nomination dans des offices créés à cet effet à la même résidence?. Cette disposition qui a pour but d'éviter, à la dissolution de la société et pour les associés qui se retirent, la perte définitive du statut professionnel, est soumise à une ancienneté de cinq ans dans la profession. Les décrets relatifs à l'exercice des offices publics et ministériels prévoient par ailleurs la mise en oeuvre de cette disposition.

L'ensemble des dispositions concernant l'exercice des offices publics et ministériels fait ressortir la dépendance très forte de la société à l'égard de l'autorité étatique. Plus encore que dans les autres sociétés d'exercice libéral, la fracture avec les sociétés de capitaux est tangible.

C - Les relations des S.E.L. constituées pour l'exercice des professions médicales avec certains établissements publics Les décrets d'application relatifs à l'exercice des professions médicales et paramédicales, excepté les décrets relatifs à la profession de pharmacien et naturellement à la profession de vétérinaire, régissent les relations que ces sociétés d'exercice libéral sont amenées à entretenir avec l'assurance maladie.

Les dispositions, qui sont regroupées par chaque décret sous un chapitre cinq, affirment, en premier lieu, le principe selon lequel les sociétés d'exercice libéral de santé, "comme les associés exerçant leur profession en leur sein, sont soumises à l'ensemble des lois et textes pris pour leur application régissant les rapports de la profession avec l'assurance maladie"?.

A ce principe général, des précisions supplémentaires sont édictées en matière particulièrement sensible des conventions mentionnées au chapitre 2 du titre VI du livre Ier du code de la Sécurité Sociale?.

Ainsi, les décrets disposent que la société est soumise à ces conventions dans la mesure où elles sont applicables à une personne morale et à la condition que les associés en exercice soient tous dans la même situation à l'égard de la convention nationale applicable à leur profession.

Les caisses d'assurance maladie se voient reconnaître par les décrets un pouvoir de sanction à l'égard des sociétés d'exercice libéral. En effet, lorsque les caisses d'assurance maladie décident de placer hors convention un ou plusieurs praticiens, pour violation des engagements de celle-ci, la société d'exercice libéral peut se retrouver placée elle aussi hors convention. Cette sanction sera automatique dès que deux conditions de fond et une condition de forme seront remplies. Les associés sanctionnés doivent rester en poste au sein de la société et les autres associés doivent ne pas les exclure dans les conditions statutaires. De plus, le déconventionnement doit avoir une durée supérieure à trois mois ou être consécutif à une récidive de manquement ayant déjà entraîné un déconventionnement d'une quelconque durée.

Enfin, il faut que la caisse d'assurance maladie ait notifié la décision de placer hors convention l'associé exerçant la profession à chacun des associés et à la société. Dès lors que ces trois conditions sont réunies la société d'exercice libéral en cause sera placée hors convention à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification.

L'article des décrets, qui dispose de la procédure d'information de la société précise que la notification doit être faite dans trois cas. Il s'agit de la décision qui constate que la société s'est placée hors convention (par le mécanisme sus-évoqué), de la décision de placer un associé praticien hors convention et de la décision de placer la société hors convention. Ce dernier cas revient implicitement à habiliter les caisses d'assurance maladie à sanctionner directement une société d'exercice libéral indépendamment de la mise hors convention de l'un de ces associés.

En cette matière comme à d'autres reprises, le fossé qui sépare les sociétés d'exercice libéral des sociétés de capitaux mais aussi des sociétés commerciales est on ne peut plus marqué. En tant que groupement d'exercice, les sociétés d'exercice libéral se trouvent logiquement subordonnées aux organes professionnels et soumises aux mêmes obligations que leurs associés professionnels.


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© 1997 - Jérôme Rabenou